Silver économie : une erreur que font beaucoup de start-up
Le nombre de porteurs de projets et de start-up dans le secteur de la Silver économie explose ces derniers mois. Une partie d’entre eux développe des produits à destination des Seniors et assez souvent avec une erreur en terme de stratégie.
Rappelons tout d’abord ce qu’est la Silver économie. La Silver économie est le nom d’une filière industrielle lancée en France en 2013. Elle concerne l’ensemble des produits et des services destinés aux personnes âgées de plus de 60 ans. Plus officiellement, « il s’agit de tous les produits et services qui devraient permettre d’améliorer l’espérance de vie sans incapacité ou d’aider au quotidien les personnes âgées dépendantes et leurs aidants naturels ».
Lorsque nous conseillons les entreprises sur la Silver économie et le marché des Seniors, nous manions une cinquantaine de critères dont les effets d’âge et de génération.
Ces deux critères ont largement été étudiés par les chercheurs dès les années 80 (Joseph O. Rentz and Fred D. Reynolds (1981), « Separating Age, Cohort and Period Effects in Consumer Behavior« ) et les instituts et notamment l’Insee en France.
Alors que sont ces critères d’âge et de génération ?
Pour simplifier, disons que l’effet de génération explique que certaines générations ont des comportements, des valeurs, des usages… spécifiques. Par exemple, les Boomers (55 et 70 ans) sont très connectés à Internet et très utilisateurs de smartphones et autres technologies alors que les Seniors plus âgés le sont beaucoup moins. Un autre exemple évident est celui des consoles de jeux vidéos qui sont essentiellement utilisées les jeunes générations.
De son côté, l’effet d’âge explique qu’en prenant de l’âge, une personne va davantage consommer certains biens et services tout en réduisant son utilisation d’autres produits. Par exemple, en vieillissant, une personne devient, souvent, moins mobile, et reste plus souvent chez elle. Ceci fait baisser certains secteurs comme les transports ou l’habillement, mais fait croître d’autres tels que la consommation électrique, l’aménagement intérieur, les biens d’équipement, la consommation des médias et d’Internet, etc.
Alors, quelle erreur font certaines de start-up sur la Silver économie ?
Beaucoup de start-up développent des produits et des services pour les Seniors de plus de 75 ans, non pas avec une stratégie basée sur le facteur d’âge, mais avec le critère générationnel.
C’est-à-dire que leurs produits ou services sont basés sur des usages et des besoins des générations âgées et non pas sur ceux des jeunes Seniors. Autrement dit, leurs produits sont utilisés par les personnes âgés mais ne le sont pas et ne le seront, souvent, pas par les Seniors plus jeunes même quand ceux-ci vieilliront.
C’est une erreur fondamentale sur le moyen terme.
C’est par exemple, souvent, le cas des tablettes tactiles simplifiées pour les Seniors. On peut penser qu’il s’agit d’une bonne idée sur le moyen terme puisque les Boomers, très nombreux, vont vieillir et pourraient avoir besoin de ces outils. Or, la simplification des tablettes tactiles n’est, la plupart du temps, pas vraiment basée sur un besoin d’âge, mais sur l’effet générationnel : la simplification permet à des Seniors qui ne sont pas équipés, ni connectés d’accéder à l’outil informatique de manière plus simple. C’est un effet de génération en raison du sous-équipement informatique de cette génération. Et la facilité d’usage est une aide à la décision d’achat de ces générations. Mais, les plus jeunes Seniors, âgés de moins de 75 ans, sont majoritairement connectés et utilisent l’ordinateur comme les adultes. Ils n’ont pas besoin d’interface simplifiée puisqu’ils sont déjà à l’aise avec les outils informatiques que tout le monde utilise. Ils auront, vraisemblablement, besoin d’explications pour les nouveaux outils ou les nouvelles applications (stratégie utilisée par Tabbya et Samsung aux USA).
Ainsi, il est possible de se demander si ces tablettes tactiles simplifiées pour les seniors âgés, ne vont pas disparaître au fur et à mesure que la génération des moins de 75 ans va avancer en âge. Autrement dit, ces outils tactiles sont une bonne idée pour cibler la génération des personnes âgées actuelles sur le court terme mais pas forcément une stratégie de moyen et long termes.
Un autre exemple de produits qui, à mon sens, est « générationnel Senior » : les systèmes de services sur l’écran de télévision pour les personnes âgées. L’utilisation de la télévision pour avoir accès à des services autres que les chaînes de télévisions ou les vidéos, est, à mon sens, basée sur l’effet générationnel. Les Seniors, les plus âgés, peuvent être intéressés par activer les outils domotiques leur logement ou des services e-santé par la télévision (et cela reste encore à confirmer). Mais, les jeunes seniors et les Boomers, de leur côté, privilégient les tablettes tactiles et les écrans autonomes pour des raisons de commodité mais également de discrétion à l’usage (toutes les personnes présentes devant la télévision voit ce que fait la personne âgée avec ces services) . C’est pour cela, que plusieurs acteurs qui ont développé leurs services à destination des Seniors sur la télévision, proposent également ces mêmes outils sur des écrans autonomes.
Plus surprenant, peut-être, est l’exemple des téléphones simplifiés pour les Seniors. Ceux qui sont basés sur des écrans et des touches plus adaptés, répondent à un facteur d’âge. En vieillissant, une personne peut avoir plus de difficultés à appuyer sur des touches trop petites. Mais est-ce intéressant de développer un smartphone simplifié pour les Seniors ? Est-ce une stratégie de long terme ? Si c’est simplement une simplification du smartphone, c’est une stratégie basée sur un facteur de génération. Il est possible d’imaginer que les jeunes Seniors vont utiliser des smartphones pour toute génération d’autant plus que des solutions logicielles permettent de les simplifier. L’exemple de l’opérateur japonais Docomo et du fabricant Fujitsu avec les smartphones Raku-Raku est intéressant : en plus de la simplification des téléphones basés sur un facteur générationnel Senior, cette gamme de téléphone propose des services basés sur des effets d’âge (réglage automatique du volume, ralentissement de la voix des interlocuteurs…). Docomo a également développé ces téléphones sur des effets de génération cohérents avec les Boomers via une plate-forme de services spécifiques.
Lorsque nous étudions les nouvelles innovations de la silver économie qui nous sont présentées, nous notons qu’un très nombreux produits et services sont basés sur un usage générationnel senior pour les plus âgés. Or, les usages Boomers sont différents. Ainsi, il est possible de penser que ces produits très « générationnels seniors » auront une durée de vie courte sans modification de leur stratégie et pourraient disparaître avec leur génération utilisatrice.
La cohérence d’une stratégie
Bien entendu, les stratégies générationnelles seniors ne sont pas à éviter systématiquement. Elles peuvent être intéressantes en fonction des objectifs. Elles sont à éviter, cependant, dans les majorités des cas, pour des projets demandant des volumes de masse. Des contre-exemples existent comme la tablette Real Pad de l’Aarp qui est « spécifique Senior ». Mais la puissance de commercialisation de l’Aarp est telle que la stratégie est cohérente.
Des exemples peuvent être détectés dans tous les secteurs d’activités. Les ustensiles de cuisine de la marque Oxo, étaient à l’origine, basés sur un facteur d’âge (la présence d’arthrose), mais ce fabricant a su élargir son marché en utilisant un design moderne et non stigmatisant pour convaincre d’autres générations. Dans le secteur des services à la personne, certaines prestations sont basées sur l’effet d’âge alors que d’autres sur l’effet de génération. L’aménagement intérieur pour le maintien à domicile est essentiellement basé sur un effet d’âge avec une problématique spécifique de juste à temps.
En conclusion, les stratégies ne sont ni mauvaises, ni bonnes. Il est possible de les adapter pour utiliser l’effet de génération en même temps que l’effet d’âge. C’est un mixe subtile qui doit prendre en compte les objectifs et les critères importants de chaque projet. L’exemple de GreatCall aux USA est intéressant.
Il est également possible de développer des produits avec des effets générationnels sur la génération la plus nombreuse, les Boomers, pour obtenir des potentiels d’utilisation plus importants et de plus long terme, pour peu que ces bénéfices soient basés également sur un facteur d’âge.
De très nombreuses stratégies sont possibles.