Pourquoi, j’ai bloqué la vente d’une société sur la Silver Eco

Partager cet article

Vous développez une société sur le marché des Seniors et la Silver économie et l’idée de pouvoir la revendre un jour vous a traversé l’esprit ?

Ou alors, vous êtes déjà à la recherche d’un acheteur ou d’un investisseur ?

Cet article basé sur un fait réel va vous intéresser et vous donner des clés pour mettre plus de chances de votre côté.

Par Frédéric SERRIERE

 

Au mois d’octobre 2017, la direction d’une société de gestion indépendante dédiée au private equity m’a demandé de l’assister dans le cadre d’une acquisition qu’elle souhaitait faire d’une entreprise présente sur le marché des Seniors depuis de nombreuses années.

L’objectif était de l’acquérir, de la développer et ensuite de la céder.

Au final, mon analyse a fait stopper la démarche pour le bénéfice de mon client.

Voyons cela plus en détails…

Au mois d’octobre, cette société de gestion me contacte et me demande mon avis concernant un projet d’acquisition d’une entreprise de vente à distance spécialisée sur le marché des Seniors. “Nous voulons avoir votre avis étayé en tant que conseiller mais aussi investisseur” m’explique-t-il.

Ce client était très proche de l’achat de cette société qui réalise actuellement un chiffre d’affaires important. Le potentiel était présenté comme intéressant et des possibilités de revente plausibles en cohérence avec les attentes habituels des investisseurs.

Dès le début de la mission, j’avais déjà mon opinion grâce à mon expérience, mais je me suis gardé de la dire à mon client afin de ne pas “brouiller” l’analyse.

J’ai demandé à mes équipes de consultants en interne de travailler de manière indépendante (de moi) de façon à être le plus objectif possible par rapport à mon opinion.

Autrement dit, nous avons mené deux études séparément : celle de mon équipe et la mienne.

Le lancement d’une mission de conseil

Au final, nous sommes parvenus à la même conclusion que je vous propose de vous partager dans cette analyse.

Malheureusement, il m’est impossible de citer bien sûr le nom de cette société sans m’attirer une foule de difficultés !

Cependant, je peux vous dire qu’il s’agit d’un acteur de la vente à distance spécialisée sur le marché des Seniors en Europe, assez connu et qui réalise un chiffre d’affaires intéressant sur ce secteur d’activités.

Présent sur plusieurs pays, son positionnement est très adapté aux Seniors actuels et l’entreprise réalise des performances qui sont au-delà de la moyenne du secteur. (De nombreux acteurs de la VAD rencontrent des difficultés depuis plusieurs années).

L’entreprise a une forte connotation Senior et cela va se révéler être le principal problème.

En effet, si vous avez lu mon Guide Silver économie,  j’aborde une liste de critères importants pour mettre toutes les chances de son côté quant au développement de sa société, de son produit ou de son service sur le marché des Seniors.

Un des critères importants est le facteur générationnel.

Le facteur générationnel explique que certains produits ou services sont plus utilisés par certaines générations et moins par d’autres. Par exemple, les jeux vidéos sont plus utilisés par les jeunes générations que par ma génération.

L’Insee avait d’ailleurs publié dès 1999 un document très intéressant à ce sujet.

J’explique souvent qu’il est possible de développer un produit spécifiquement pour les personnes âgées et que ce produit puisse ou pas correspondre aux besoins des attentes des jeunes Seniors.

C’est un peu comme si nous développons un produit pour les adolescents, qui ne pourrait pas satisfaire les attentes des enfants. Normal me direz-vous !

Tout comme le sont les moins de 18 ans, la population des plus de 60 ans est très hétérogène et les attentes et besoins sont très variables notamment en fonction de la génération de Seniors concernée.

Pour simplifier, les études segmentent les plus de 60 ans en 3 générations : les Boomers (60/73 ans), les Seniors (74/82 ans) et les Grands Seniors (Plus de 83 ans). Chacune de ces générations a ses propres valeurs spécifiques et des propres références en termes de marques.

Bien entendu, le facteur générationnel n’est pas le seul critère, mais concernant la problématique de mon client, ce critère va se révéler primordial.

L’entreprise de VAD sur le marché des Seniors que mon client étudiait, a une très forte notoriété et (ou mais) est perçue comme étant spécialisée sur les Seniors.

Ainsi, les jeunes Seniors, les Baby-boomers ne veulent pas, en grande majorité, consommer de produit de cette marque.

Ils ne se considèrent pas vieux et ils expliquent “c’est maman qui consomme cette marque, pas moi“.

Voilà le problème !

Une entreprise très performante sur une génération avec des produits ne coïncident pas aux références et aux besoins de la génération suivante.

Autrement dit, ce vépéciste pourrait bien disparaître avec la génération de ses clients actuels.

Dans une autre chronique, je prédisais la “mort” des entreprises trop connotées Senior.

Une disparition probable

Vous allez me dire qu’il est possible de s’adapter et de cibler les baby-boomers.

C’est tout à fait vrai, mais cela demande généralement entre 4 et 6 ans pour réaliser ce processus parce qu’il s’agit de conserver ses clients existants avec des valeurs et attentes spécifiques tout en ciblant une autre génération ayant d’autres valeurs et attentes.

Si ce changement est réalisé trop rapidement, le risque est de perdre des clients actuels et de ne pas les compenser par des nouveaux clients.

Avec l’expérience de ce type d’enjeux, nous avons établi une méthodologie pour calculer ce point de rupture au-delà duquel, il n’est plus guère possible de faire la “bascule” entre ses clients Seniors et ses futurs clients baby-boomers.

Un point de rupture

Dans un premier temps, les investissements deviennent trop importants pour opérer le changement.

Ensuite, une fois ce point de rupture fortement dépassé, c’est une question de timing :  le temps nécessaire pour mener à bien cette stratégie de basculement est plus long que le temps nécessaire pour l’arrivée de la nouvelle génération, à l’âge de consommer nos produits. Autrement dit, les Boomers seraient déjà “vieux” avant d’être intéressés par nos produits.

Frustrant !

Des exemples de réussites existent

Des exemples de réussites existent à l’image de l’Aarp, l’association des Seniors aux USA qui depuis 2006, avait décidé de cibler les baby boomers.

Il a fallu environ 6 à 8 ans pour que la bascule soit réalisée de manière efficace tout en conservant les membres “anciens” et en devenant attractif aux yeux des futurs membres que sont les baby-boomers.

C’est une vraie stratégie lourde à mettre en place qui doit être menée avec des doigts de fée pour ne pas subir de fluctuation à la baisse du chiffre d’affaires.

Mais, revenons à mon client l’entreprise vépéciste Senior.

C’est un bel exemple de réussite sur le marché des Seniors, avec des paniers moyens par client assez élevés par rapport à la concurrence, mais avec une image très connotée Senior.

Alors, que l’entreprise aurait pu et aurait dû commencer sa stratégie de ciblage des baby-boomers de manière douce, depuis plusieurs années, la direction s’est focalisée sur une stratégie avec pour cible ses clients existants âgés de façon à pérenniser le chiffre d’affaires sur le court terme.

C’est justement une stratégie de court terme.

Ainsi, le point de rupture a été atteint.

Il n’est plus possible pour cette entreprise de réussir la bascule sur les baby boomers parce que le temps de mettre en place cette stratégie, les baby boomers auront déjà pris de l’âge.

Ainsi, mon équipe et moi-même, sommes arrivés chacun de notre côté, à la même conclusion.

Nous avons dû conseiller à notre client investisseur, de ne pas acquérir cette société, ou alors d’en faire baisser fortement le prix pour prendre en compte non pas le chiffre d’affaires actuel, mais le chiffre d’affaires susceptible d’être réalisé de manière réaliste dans les prochaines années, compte tenu du manque de stratégie pour s’adapter aux baby-boomers.

Une volonté de tromper l’acheteur ?

Il est possible de se demander si la direction de cette société n’avait pas conscience de ce problème et ne s’est pas focalisée sur ses clients actuels pour faire grimper le chiffre d’affaires dans le but de maximiser le prix de vente et de trouver un acheteur, peu clair voyant des difficultés à venir.

Il est important ici de dire que la mission de conseil ne se limitait pas à donner un avis général concernant les générations en fonction d’un cadre théorique standard.

Nous avons, au contraire, utiliser une méthodologie qui permet de calculer avec précision ce point de rupture et les différents paramètres pour développer cette stratégie de basculement.

Cela passe notamment par la mesure des chiffres d’affaires, génération par génération, souvent produit par produit, mais aussi la mesure de l’évolution de l’image de l’entreprise vis-à-vis des Boomers ainsi que d’autres paramètres. Ceci pour arriver à des conclusions précises concernant les potentiels que l’entreprise concernée.

A ce stade, il est nécessaire d’expliquer que notre conclusion ne veut pas dire forcément que l’entreprise n’a pas d’avenir, mais que la stratégie que souhaitait mettre en place notre investisseur – racheter cette entreprise pour la revendre d’ici 4 à 5 ans – n’est pas possible en raison de l’orientation de l’entreprise en question.

Le secteur de la VAD Senior n’est pas le seul concerné. C’est aussi le cas d’une partie de la presse Senior, de certains concepts de résidences Seniors ou encore d’acteurs dans le textile.

Ainsi, cette société n’a pas été rachetée par notre client ce qui lui a évité des pertes financières futures.

Quand à l’entreprise de VAD, sauf à trouver un acheteur moins clair voyant (ou mal conseillé!), son avenir pourrait bien être la décroissance.

 

 

 


Partager cet article

Laisser un commentaire