L’Institut Montaigne a publié en 2015 un note intitulé « Pour une meilleure équité intergénérationnelle ».
Les seniors disposent de 45 % du patrimoine brut global du pays1. La part détenue par les plus de 60 ans, qui en 2010 représentaient 23 % de la population française, s’élève même à 54 % si l’on se limite au patrimoine financier. Selon les enquêtes Patrimoine de l’Insee, cette concentration du patrimoine financier et plus encore immobilier dans les mains des seniors s’est sensiblement accrue depuis une vingtaine d’années.
Les seniors constituent un segment très hétérogène du point de vue de leurs besoins mais également d’un point de vue économique. Ainsi, si un certain nombre de seniors sont touchés par un phénomène de paupérisation, de nombreux seniors bénéficient d’une capacité d’épargne très élevée du fait d’une consommation réduite avec des revenus relativement importants. Ce phénomène amplifie l’accumulation de patrimoine par les seniors dont les richesses ne bénéficient pas à la solidarité intergénérationnelle.
Dans le même temps, les besoins de financement pour les générations suivantes sont aigus : achat immobilier, financement des études, soutien parental, etc.
Or, l’âge de l’héritage en France est de plus en plus tardif, retardant d’autant le transfert intergénérationnel et la capacité des jeunes générations à utiliser ce patrimoine. Les études menées sur les enquêtes Patrimoine de l’Insee montrent que la donation reçue suffisamment tôt lève les contraintes de liquidité que subissent les enfants bénéficiaires. La donation permet également d’accélérer les projets patrimoniaux, qu’il s’agisse de l’accession à la propriété ou de la création d’une entreprise – ou de la reprise d’une entreprise qui n’est pas celle des parents.
Ainsi, le patrimoine global moyen d’une personne ayant reçu une donation ou un héritage est de 440 ke contre 170 ke pour une personne n’en ayant pas reçu.
Les enjeux des transferts intergénérationnels dans une situation de faible croissance économique
Ces déséquilibres s’inscrivent dans un environnement économique caractérisé par une crise économique et sociale qui perdure (croissance quasi-nulle, endettement public élevé, taux de chômage passant de 7,9 % en 2002 à 10,5 % en 2013).
Dans ce contexte l’accélération des transferts intergénérationnels apparaît comme une nécessité, afin que les actifs libérés soient plus facilement consommés ou investis par les jeunes générations et bénéficient ainsi à la croissance économique.
Proposition n° 1 – Permettre des donations plus fréquentes
Dans une optique de rééquilibrage des patrimoines afin de transformer une partie du capital épargné par les seniors en consommation, nous préconisons une évolution de la durée de reconstitution des abattements successoraux.
Cette proposition vise à favoriser et rendre les donations plus fréquentes afin d’accélérer et renforcer le transfert intergénérationnel. Elle touche essentiellement les seniors dotés d’un patrimoine important et qui ont la capacité d’effectuer des donations sur une partie de celui-ci sans devoir se séparer de biens « cœur » (résidence principale, épargne de précaution). Cette proposition pourrait par exemple s’appliquer à une résidence secondaire.
Concrètement, la durée de reconstitution des abattements successoraux passerait de 15 ans actuellement à cinq ans. Compte tenu de l’instabilité du cadre réglementaire encadrant les donations, l’Institut Montaigne préconise également d’inscrire cette mesure dans la durée afin de favoriser la connaissance et l’adoption de façon stable et pérenne de ce type de démarche par les seniors.
En faisant l’hypothèse d’une mobilisation en donations supplémentaires de 5 % du patrimoine des 9e et 10e déciles des plus de 55 ans disposant des patrimoines les plus importants, cette mesure permettrait de mobiliser 85 MdsE sur 10 à 15 ans soit 1 % du patrimoine total des ménages et 4 % du PIB.
D’autres ajustements pourraient également être envisagés pour favoriser ou accélérer le transfert intergénérationnel :
• des mesures visant à simplifier les donations aux petits-enfants,
• des ajustements fiscaux visant à augmenter la taxation sur les héritages élevés, qui pourraient inciter au développement des donations et ainsi contribuer à l’accélération du transfert intergénérationnel.
Un deuxième levier pourrait concerner l’optimisation de la fiscalité des donations d’entreprises familiales. Ce sujet avait fait l’objet d’une publication conjointe de l’Institut Montaigne et de l’Asmep-ETI en 20132. S’il a indéniablement permis aux entreprises familiales de se transmettre de nouveau, le régime des Pactes Dutreil n’en reste pas moins pour les entreprises françaises plus coûteux, beaucoup plus contraignant et plus formaliste que la plupart des régimes applicables chez nos voisins européens.
Ceux-ci ont su adapter leur législation fiscale, en particulier depuis la crise, pour protéger leur tissu entrepreneurial et faire de la pérennité des entreprises familiales un levier pour l’emploi en n’appliquant par exemple aucun droit de donation ni de succession (c’est le cas dans neuf Etats-membres de l’Union européenne – Autriche, Suède, Portugal, Chypre, Slovaquie, Estonie, Lettonie, Malte, Roumanie) ; ou en exonérant totalement ou presque la base taxable en contrepartie d’une durée de détention longue des titres (Royaume-Uni, Allemagne, Belgique, Espagne, Italie).
Aujourd’hui, en dépit des Pactes Dutreil, la transmission reste plus coûteuse et plus complexe en France que chez nos voisins européens. L’Institut et l’Asmep-ETI ont donc proposé de créer un « PACTE + » exonérant totalement la transmission en contrepartie d’une durée de détention plus longue. Pour supprimer la sur-fiscalité française en matière de transmission et pour inciter un plus grand nombre d’entreprises françaises à se transmettre, l’on pourrait porter l’abattement actuel de 75 % à 100 % de la valeur transmise, à l’instar de nos voisins européens, en contrepartie d’une détention de dix ans des titres sociaux.
D’autres déséquilibres sont induits par le manque d’alignement entre les contributeurs et bénéficiaires de la CSG
Le niveau de vie moyen des retraités est désormais équivalent à celui des actifs, notamment parce que leurs charges sont inférieures (dans de nombreux cas, les retraités sont propriétaires de leur résidence principale qu’ils ont fini de rembourser et n’ont plus de charges de famille).
Les seniors, du fait de leur fragilisation avec l’âge, sont de forts consommateurs de soins et, en ce sens, « coûtent » en moyenne plus cher que les actifs à la Sécurité sociale. Ce manque d’alignement entre les bénéficiaires et les contributeurs au financement de la sécurité sociale n’est donc pas justifié par des niveaux de revenus différents et il est générateur de forts déséquilibres intergénérationnels.
La logique de solidarité justifie le fait que ces coûts soient supportés par l’ensemble de la société et pas uniquement par les seniors. Cependant, il est plus difficile de comprendre pourquoi les retraités bénéficient d’un taux réduit de CSG alors qu’ils disposent en moyenne de revenus équivalents à ceux des actifs, de dépenses moindres, et qu’ils consomment plus de soins.
En effet, les taux qui s’appliquent sur les pensions de retraite sont de 6,6 % contre 7,5 % (Illustration 3) pour les salaires alors même que les retraités bénéficient déjà d’un abattement de 10 % sur leur pension au titre de l’Impôt sur le revenu.
Au quatrième trimestre 2014, la dette publique des administrations de Sécurité sociale représentait 216,8 Mdse€ soit 10,6 % de la dette publique3. La Sécurité sociale demeure largement déficitaire (11,7 Mdse en 2014) et l’effort de réduction des déficits pèse sur l’ensemble de la société.
Comme évoqué précédemment, il existe aujourd’hui un manque d’alignement entre les bénéficiaires et les contributeurs au financement de la sécurité sociale via la CSG qui représentait en 2012 20,4 % des recettes permettant le financement de la sécurité sociale.
Proposition n° 2 – Aligner le taux de CSG des pensions élevées avec celui qui s’applique aux actifs
L’alignement du taux normal appliqué aux pensions (6,6 %) avec celui s’appliquant aux salaires (7,5 %) permettrait de réduire le besoin de financement de la Sécurité sociale financé par l’emprunt ou par une taxation des actifs et de rétablir une justice sociale et une solidarité intergénérationnelle.
Afin de préserver le niveau de vie des retraités les plus modestes, les taux à 0 % et à 3,8 % resteraient inchangés et la mesure ne concernerait que les retraités disposant de revenus comparables à ceux des actifs.
La Cour des comptes, dans son rapport annuel sur la Sécurité sociale publié en septembre 2012, avait estimé le gain lié à cette mesure à 1,2 Mde/ an en année pleine.
(Source Institut Montaigne)