Les personnes en couple vivent plus longtemps


Par Rachid Bouhia,
division Enquêtes et études démographiques, Insee

À âge donné, les personnes qui vivent en
couple risquent moins de décéder que les personnes qui vivent
seules. Une fois arrivées aux grands âges, celles qui n’ont
jamais vécu en couple font exception. En revanche, à tout âge,
une séparation ou le décès du conjoint s’accompagne
d’une surmortalité, à laquelle les femmes semblent mieux
résister. Situation conjugale et risques de mortalité partagent
des origines communes. La précocité des décès de
ceux qui n’ont jamais vécu en couple résulte ainsi souvent
d’une conjonction de facteurs de santé, sociaux et professionnels
défavorables qui recoupe leur difficulté à fonder un foyer.
Les hommes et les femmes qui ont eu deux enfants ont un moindre risque de mortalité.

Les hommes vivent plus longtemps en couple

80 % des hommes et 65 % des femmes âgés de 40 à
90 ans vivent en couple. Les situations conjugales des femmes sont plus diversifiées
que celles des hommes, en particulier aux âges élevés. En
cas de rupture d’union ou de décès du conjoint, les hommes
ont davantage tendance à former un nouveau couple, en général
avec des femmes plus jeunes. Les femmes, dont l’espérance de vie
est plus élevée, restent de leur côté plus souvent
veuves. Ainsi, au-delà de 70 ans, la majorité des femmes n’est
plus en couple, contrairement aux hommes. Entre 70 et 80 ans, seule une femme
sur deux est encore en couple. Après 80 ans, 56 % d’entre elles
ont perdu leur conjoint. Aux mêmes âges, la part des hommes qui
vivent en couple est toujours supérieure à 70 %.

Parmi les 40-90 ans, 8,1 % des hommes et 8,0 % des femmes n’ont
jamais vécu en couple (source). Parmi les plus de 70 ans, la proportion
est respectivement de 7,1 % et 9,4 %. N’avoir jamais vécu en couple
est plus fréquent en bas de la hiérarchie sociale pour les hommes
et en haut pour les femmes.

À âge donné, les personnes seules
sont plus nombreuses à décéder

Les personnes qui ne vivent pas en couple ont une plus grande
mortalité quel que soit l’âge. Entre 40 et 50 ans, leur taux
de mortalité est deux à trois fois plus élevé. L’écart
se réduit ensuite au fur et à mesure de l’avancée
en âge.

Pour les hommes, cette surmortalité est plus marquée
et persiste après 80 ans. Les hommes seuls de 80 à 90 ans ont
ainsi une probabilité annuelle moyenne de décès de 100
‰, contre 88 ‰ pour ceux qui vivent en couple. Chez les femmes,
la surmortalité touche surtout celles très âgées
qui sont séparées : entre 80 et 90 ans, leur taux de décès
dans l’année s’élève à 54 ‰ contre
50 ‰ pour celles qui sont toujours en couple.

Le célibat continu coïncide avec une plus
faible mortalité aux très grands âges…

Ne pas être en couple à un âge donné
peut résulter d’un célibat continu, du décès
du conjoint ou d’une séparation. Les personnes qui n’ont
jamais vécu en couple se distinguent des autres. Si les personnes seules
meurent davantage que celles qui vivent en couple, celles qui n’ont jamais
vécu en couple font exception à partir d’un certain âge,
surtout les hommes : le risque de décéder dans l’année
des hommes de plus de 80 ans qui n’ont jamais vécu en couple est
de 77 ‰ au lieu de 88 ‰ pour les hommes en couple. Pour les femmes,
il est de 47 ‰ au lieu de 50 ‰.

De plus, alors que la surmortalité baisse régulièrement
avec l’âge pour les personnes n’ayant jamais vécu en
couple, il n’en est pas de même pour les veufs et pour les personnes
séparées, notamment pour les femmes. Pour eux, la surmortalité
par rapport aux personnes en couple, mesurée par le rapport des probabilités
annuelles moyennes de décès, n’évolue pas de façon
homogène. Elle baisse moins rapidement. Pour les femmes, elle augmente
même légèrement pour les 70-80 ans.

La combinaison de deux effets explique cette différence.
Un « effet de sélection » joue pour tous, ceux qui n’ont
jamais vécu en couple, les veufs, les séparés : les personnes
les plus fragiles meurent plus tôt que les autres si bien que seules survivent
aux grands âges les personnes les moins fragiles. Cet effet tend à
atténuer la surmortalité au cours du temps. Pour les veufs et
les personnes séparées s’y ajoute un « effet de choc
» : le passage de la vie en couple à une situation de vie seule
expose à des risques de décès plus élevés.
Pour ceux ayant perdu leur conjoint, la surmortalité peut également
résulter d’un mauvais état de santé en lien avec
celui du défunt (maladies communes, etc.) ou du partage d’un mode
de vie présentant un niveau élevé de risques. Cependant,
la remise en couple, que ce soit après un décès ou une
rupture, replace l’individu dans un cas aussi favorable que ceux qui n’ont
connu qu’une seule union.

… mais recoupe des caractéristiques qui augmentent
le risque de décès plus jeune

Différents facteurs expliquent à la fois les différences
de mortalité et de situation matrimoniale au cours de la vie : la catégorie
sociale, le niveau d’éducation, l’état de santé
physique et psychique, etc. De ce fait, les différences de taux de mortalité
à âge donné selon la situation conjugale ne reflètent
pas uniquement l’effet de cette situation conjugale.

Toutefois, à caractéristiques comparables, les
hommes n’ayant jamais vécu en couple ont, entre 40 et 60 ans, une
mortalité supérieure à celle des hommes en couple. Pour
les quadragénaires en célibat continu, le rapport des risques
de décès est de 1,8 : leur risque de décéder dans
l’année est donc presque double de celui d’une personne de
mêmes caractéristiques mais vivant en couple. Entre 50 et 60 ans,
ce rapport des risques diminue jusqu’à 1,4 pour les hommes et 1,7
pour les femmes. Il est ensuite proche de 1. Vers 80 ans, les hommes qui n’ont
pas vécu en couple peuvent même espérer vivre plus longtemps.

La prise en compte de la catégorie sociale, du niveau
d’éducation, du nombre d’enfants et du fait d’être
propriétaire ou locataire ne modifie donc pas les disparités observées
en comparant directement les taux de mortalité, mais elle réduit
le risque de surmortalité imputé au fait de ne pas être
en couple, en particulier pour les personnes qui n’ont jamais vécu
en couple.

Cette atténuation rappelle que la surmortalité
au sein de la catégorie des individus en célibat continu est ainsi
amplifiée par la présence de personnes qui cumulent les difficultés.
Un état de santé dégradé, l’exclusion du marché
du travail ou des conditions de vie précaires interagissent et s’imbriquent
avec la difficulté de se mettre en union.

Chez les femmes, la prise en compte d’autres caractéristiques
réduit moins les rapports des risques entre celles en couple et celles
qui ne l’ont jamais été. Les femmes qui n’ont jamais
été en couple appartiennent en effet plus souvent à des
milieux sociaux plus favorisés (cadres et professions intellectuelles
supérieures), qui ont un effet protecteur. Toutefois, leur surmortalité
s’estompe plus tardivement, vers 70 ans, et les survivantes aux grands
âges ne semblent pas bénéficier de bienfaits particuliers
par rapport aux femmes qui sont dans d’autres situations conjugales.

La surmortalité après une rupture d’union
est plus élevée chez les hommes

La surmortalité liée au choc suivant une séparation
ou le décès du conjoint est légèrement plus élevée
pour les hommes que pour les femmes, surtout aux âges les plus jeunes
(entre 40 et 70 ans). Cet écart demeure lorsque les différences
de caractéristiques entre les personnes concernées sont prises
en compte.

Puisque les hommes fondent un nouveau ménage plus souvent
que les femmes après un veuvage ou une séparation, il est possible
que ceux qui restent seuls soient les individus les moins résistants,
donc avec une mortalité plus forte. La répartition des tâches
dans le ménage rend par ailleurs les hommes moins autonomes pour vivre
seul, notamment aux âges avancés, et accentue pour eux le choc
d’une séparation ou du décès de la conjointe.

La séparation va de pair avec des risques de
mortalité accrus dans les milieux sociaux défavorisés

La prise en compte des caractéristiques sociales réduit
également la surmortalité des personnes séparées
par rapport à celles qui vivent en couple. L’inverse n’aurait
pas été surprenant : pour les plus de cinquante ans, les ruptures
d’union sont plus fréquentes dans le haut de la hiérarchie
sociale, donc pour ceux qui sont moins exposés au risque de décéder.
La baisse du risque de surmortalité des personnes séparées,
lorsqu’on le corrige des caractéristiques individuelles, traduit
en fait une plus grande fragilité des catégories sociales les
moins favorisées. Chez les hommes, les employés et les ouvriers
non diplômés ont un risque de décéder 2,1 fois plus
élevé que les cadres et les professions intellectuelles supérieures
s’ils sont séparés. Ce rapport des risques n’est plus
que de 1,6 pour les hommes en couple. Chez les femmes, les écarts de
mortalité selon la catégorie socioprofessionnelle sont de moindre
ampleur que pour les hommes. Toutefois, en cas de rupture d’union, les
employées et les ouvrières non diplômées ont un risque
de décéder supérieur à celui des femmes cadres (1,7
fois plus) alors qu’il n’y a pratiquement pas de différence
pour les femmes en couple.

Les personnes qui vivent seules après avoir perdu leur
dernier conjoint ont un risque de décès accru. Mais, contrairement
au cas de la séparation, cette surmortalité varie peu entre catégories
socioprofessionnelles, à âge, nombre d’enfants et statut
d’occupation du logement comparables.

Les risques de décès sont les plus faibles
avec deux enfants

À âge donné, le risque de décéder
des femmes n’est pas le même selon le nombre d’enfants qu’elles
ont eus. La courbe de la mortalité féminine en fonction du nombre
d’enfants a la forme d’une courbe en « U », avec un
risque minimum pour les femmes ayant eu deux enfants. Ce résultat persiste
lorsque l’on tient compte d’autres caractéristiques qui engendrent
des différences de mortalité, comme la catégorie socioprofessionnelle.

Des explications biologiques et médicales sont souvent
avancées : les femmes qui ont des problèmes de santé particuliers
n’ont pas d’enfant ou peu ; à l’inverse, la multiplication
des grossesses fragiliserait l’état de santé des mères
de famille nombreuse. En réalité, ces explications sont sans doute
partielles. Par nature, elles ne valent pas pour les hommes, qui connaissent
pourtant la même courbe en « U ». Celle-ci s’avère
même plus prononcée que pour les femmes. Les hommes sont d’autant
plus pénalisés qu’ils s’éloignent de la norme
des deux enfants. À milieu social donné, l’effet du nombre
d’enfants sur le risque de décéder pourrait refléter
l’équilibre trouvé entre les coûts d’une descendance
en termes d’efforts humains et financiers et ses bénéfices
sur l’espérance de vie liés à des conduites moins
risquées et à une meilleure intégration sociale.

Pour les personnes dont le conjoint est décédé,
la taille de la progéniture ne dit rien du risque de décéder
: ni chez les hommes, ni chez les femmes, il n’y a de différence
significative du niveau de mortalité selon le nombre d’enfants.
Par contre, les effets d’une séparation sont très atténués
chez les hommes mais plus marqués chez les femmes. Cette sensibilité
plus élevée de la mortalité féminine au nombre d’enfants
pour les mères séparées pourrait résulter de leur
plus grande proximité avec les enfants par rapport aux pères.
En effet, en cas de séparation des parents, les relations des enfants
sont plus fortes avec celui avec qui ils ont ensuite vécu, la mère
huit fois sur dix.

Source INSEE http://www.insee.fr

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