Papy-boomers et les nouvelles technologies

En France, 2,6 millions de seniors âgés de plus de 50 ans utilisent Internet, soit 16,2 % de la population globale d’internautes : 89,5 % des « seniornautes » âgés de 50 à 64 ans utilisent l’e-mail, 35,3 % participent à des chats, 26,9 % se servent de la messagerie instantanée, 42,1 % pratiquent le téléchargement et 79,2 % consultent les sites marchands . Un constat qui a incité les chercheurs de l’Observatoire France Télécom à étudier les facteurs de motivation de ces jeunes seniors qui se familiarisent progressivement avec les nouvelles technologies (téléphones fixe et mobile, courrier électronique et services fournis par Internet).

Ces papy-boomers, retraités ou non, se distinguent des anciennes générations en cherchant à mieux tirer profit des potentiels de communication offerts par les NTIC. Les chercheurs de l’Observatoire France Télécom ont donc voulu comprendre comment ils en venaient à adopter le téléphone mobile ou Internet dans leur quotidien, et quels en étaient les intentions et mécanismes.

Cette étude montre que le réseau familial joue un rôle fondamental dans la transmission des informations et, plus généralement, dans la formation des attitudes et des usages des nouvelles technologies. Une surprenante révélation sur la génération de l’après-guerre qui voulait révolutionner le carcan familial dans les années 60, et qui aujourd’hui a su en renégocier les liens au point d’en faire son premier motif d’acquisition des NTIC !


L’entrée dans l’ère du papy-boom stimule les besoins de communication avec la famille …

La référence constante que les jeunes seniors font à l’utilité montre que cette notion revêt pour eux un rôle de justification : elle leur permet d’expliquer pourquoi ils ont « besoin » d’utiliser telle ou telle technologie, comme si cela ne leur était pas destiné. C’est ce que les chercheurs appellent « la logique utilitaire ».

Leur utilisation des nouvelles technologies vient souvent de son association avec l’un de leurs idéaux : la valeur accordée à la famille, en particulier aux enfants et aux parents âgés. Ce qui est valable pour toutes les générations concernant le désir de communication avec la famille est encore plus accentuée chez les jeunes seniors : ils souhaitent transmettre la mémoire familiale à travers la reconnaissance et le partage de certaines valeurs avec leurs descendants. Les nouvelles technologies sont ainsi perçues comme étant utiles dès lors qu’il s’agit de favoriser des liens familiaux ou amicaux :

Maintenir les contacts au sein de la famille. Les jeunes seniors ressentent le « devoir » d’appeler quand il y a des petits-enfants (pour avoir des nouvelles, pour garder les enfants, etc.), mais ils estiment aussi en avoir le « droit ». En revanche, lorsqu’il n’y a pas de petits-enfants, les grand-parents craignent davantage « d’envahir la vie privée » de leurs enfants et de ce fait se manifestent moins ;

Mobiliser la mémoire familiale. Lors de la naissance d’un petit-enfant, chacun revit sa propre enfance. Les nouveaux parents eux-mêmes y voient l’occasion d’un rapprochement avec leurs père et mère à travers le partage d’une expérience similaire. Ce moment fort du temps familial est un puissant vecteur de recours aux nouvelles technologies liées à l’image, notamment la webcam pour suivre pas à pas la vie des petits-enfants ;

Créer une proximité affective et pallier le sentiment de séparation avec ses proches. Les nouvelles technologies permettent de retrouver des complicités à distance en témoignant de diverses manières sa présence à l’autre. Les échanges de contenus numériques de type photographique ou vidéo, en différé ou en instantané, sont souvent liés à une motivation affective pour communiquer avec sa famille.

… et attribue aux enfants et petits-enfants le rôle de médiateurs intergénérationnels

Étant à la retraite, certains jeunes seniors ne sont plus sujets aux pressions professionnelles qui les obligeraient à recourir aux technologies de pointe. Toutefois, les conventions sociales continuent de s’exercer. Ce sont donc davantage les personnes importantes pour eux (un enfant, un membre de la famille, etc.) plutôt que les contextes technologiques qui motivent l’acquisition de nouvelles technologies. La présence de proches ayant des besoins et un style de vie assez similaires aux leurs et qui utilisent ou tout simplement parlent d’une innovation technique suggère que celle-ci pourrait finalement leur être aussi utile. En voyant son fils ou sa petite-fille se servir d’un téléphone mobile, il en devient du coup plus abordable, moins étrange et peut faire partie de l’environnement domestique. L’entourage personnel joue donc un rôle fondamental dans la construction de valeurs et de styles de vie, indispensables pour donner du sens à l’outil analysé. Il apporte plusieurs types de ressources et favorise ainsi l’adoption des outils de télécommunications :

Le cadeau. Les enfants peuvent offrir un téléphone sans-fil : « Il y a trois ans, ma fille m’a offert un téléphone sans fil pour Noël. Comme j’habite un pavillon avec un étage, ça la rassure de savoir que je n’ai plus à monter et descendre les escaliers chaque fois que le téléphone sonne dans la maison » (Claudine, 62 ans) ;

Les pressions. Les enfants insistent pour que leurs parents s’achètent un répondeur s’ils sont souvent absents : « Mes enfants m’ont dit : ‘Écoute, achète-toi un répondeur, tu n’es jamais chez toi. On ne peut jamais te joindre maintenant que tu es à la retraite’ » ;

L’apprentissage. Un enfant ou un conjoint prête un ordinateur et donne des explications pour l’utiliser ;

La proximité rassurante et les informations. Le secrétaire de l’association à laquelle adhère le retraité l’incite à utiliser un téléphone mobile par exemple.
A noter toutefois : la nature de certaines relations familiales peut présenter selon les cas autant une entrave qu’une aide à la transmission entre les individus et les générations. En effet, la transmission de savoirs (technologiques ou non) implique l’installation préalable d’une relation « d’autorité pédagogique » : pour qu’un lien avec un ami ingénieur ou un fils expert en informatique soit utile, ces médiateurs doivent parvenir à faire accepter et partager leur cadre de référence intellectuel.

Contrairement aux idées reçues, cette étude montre que l’âge n’est pas un obstacle pour l’apprentissage des NTIC : non seulement beaucoup de ces nouveaux seniors ont été immergés dans la culture numérique au cours de leur carrière professionnelle, mais surtout le constat de l’âge ne peut être analysé sans prendre en compte l’influence du niveau de diplôme, de revenu et de catégorie socioprofessionnelle. L’association systématique de l’âge et de la rigidité des comportements mérite donc d’être reconsidérée. Cette étude met davantage en exergue des préoccupations particulières envers les relations sociales, les modes de vie et les valeurs qui peuvent caractériser les personnes entre 50 et 65 ans ou leur génération, mais qui ne doivent pas être assimilés pour autant à une résistance aux nouvelles technologies. Ce qui est ici démontré, c’est que l’adoption des NTIC par les jeunes seniors est favorisée lorsque les influences sociales et leurs intérêts propres laissent entrevoir à la fois une « utilité » et un « bénéfice » associés à leur style de vie.


A propos de l’Observatoire France Télécom – Les Télécoms dans nos vies
La communication de ces travaux de recherche est initiée par l’Observatoire France Télécom qui souhaite faire partager au grand public l’expertise du Groupe sur les liens entre les télécommunications et la société. Le dessein de l’Observatoire France Télécom est de permettre à chacun de mieux comprendre les transformations des modes de vie à partir de l’observation des pratiques de communication, et réciproquement. Il s’appuie sur les travaux des chercheurs de France Télécom R&D et des services études du groupe. L’Observatoire France Télécom s’attache à révéler des évolutions profondes et souvent inattendues dans nos rapports sociaux, qu’ils soient professionnels ou personnels. Il contribue ainsi à nourrir le débat en apportant une plus value par rapport aux perceptions et aux opinions dominantes en matière d’usages des télécommunications.


Les équipements multimédias des seniors :
En France, les 50-64 ans sont devenus un facteur de dynamisation du marché de la micro informatique. La possession d’ordinateurs progresse chez eux nettement plus vite que dans le reste de la population française : + 12,5 % chez les 50-64 ans, + 8,4 % sur l’ensemble de la population ;
et 50,1 % de ces seniors possèdent un ordinateur, rattrapant presque la moyenne française
(54,1 % des ménages sont désormais équipés)

La proportion des seniors français connectés au haut débit
est supérieure (près de 50 %) à celle qui est constatée chez les 25–59 ans (40%)

En Europe : 11,5 millions d’Européens de plus de 55 ans utilisaient Internet en 2003, soit 28,8 % d’augmentation par rapport à 2002 : Suède (19,4 %), Grande-Bretagne (17,3 %),
Suisse (15,9 %), Italie (10,6 %) et Espagne (8,3 %)

Téléphonie mobile en France : 62 % des 40 et 59 ans et 43 % des 60 et 69 ans
ont un téléphone mobile contre 65 % de la population française

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