La Chine sera vieille avant d’être riche

Avec la limitation des naissances, la Chine prend un dangereux coup de vieux. En 2050, elle comptera 470 000 centenaires et le vieillissement de sa population est quatre fois plus rapide que celui de la France au XXe siècle. Un défi pour le gouvernement

 

Wang Yumei a encore le sens de la piété filiale. A 28 ans, elle gagne plutôt bien sa vie dans une entreprise étrangère de Pékin et son mari travaille pour l’Etat. Pourtant, le couple vit en banlieue dans un petit appartement avec les toilettes à l’étage. Ils économisent pour s’envoler un jour vers l’Amérique. Mais il ne s’agit pas que d’un choix. Chaque mois, Wang Yumei envoie une partie de son salaire à son père. Ouvrier à la retraite dans le Nord-Est sinistré du pays, il ne peut plus subvenir à ses besoins. Et depuis quelques semaines une part encore plus substantielle de son budget sert à payer le traitement médical de son beau-père, atteint d’un cancer.

A l’avenir, la Chine aura besoin de beaucoup de Wang Yumei. Alors que le modèle antique des quatre générations vivant sous le même toit a volé en éclats depuis de nombreuses années, le poids des vieux dans la société chinoise est plus fort que jamais et leur prise en charge devient un casse-tête.

Des chiffres édifiants

Considérée comme une nation «jeune» il y a vingt ans, la Chine est désormais une société «âgée» selon les standards internationaux, avec ses 147 millions de citoyens de plus de soixante ans (11%). Au tournant du siècle, 20 000 Chinois passaient chaque jour le cap des 60 ans. A ce rythme, il y aura 300 millions de vieux en 2030 ou 22% de la population et 470 000 centenaires en 2050. Le plus impressionnant, toutefois, est la rapidité de cette transition démographique. Alors qu’il a fallu, en France, cent quinze ans pour voir le nombre de personnes âgées passer de 7% à 14%, vingt-sept ans suffiront à la Chine. Ainsi, ce pays aura la particularité peu enviable de voir le vieillissement de sa société précéder son industrialisation. «La Chine sera une nation de vieux avant d¹être un pays riche», titrait il y a peu l’hebdomadaire Sanlian Shenghuo en tirant la sonnette d’alarme.

La raison de cette transition brutale est connue: la politique de limitation des naissances lancée à la fin des années 70. De ce point de vue, les autorités peuvent se targuer d’un certain succès. Selon le dernier recensement de la population, qui date de 2000, les moins de quatorze ans représentaient 23% de la population, une chute de près de 5 points par rapport à 1990. Dans le même temps, la part des retraités de plus de 65 ans a augmenté de 1,39%. C’est le revers de la médaille. Alors que la Chine devient le pays de l’enfant unique, la charge sociale des vieux explose. Ces quarante prochaines années, le ratio entre le nombre de personnes actives et celui des retraités va ainsi passer de 9:1 à 2,6:1, selon les projections des Nations Unies. La refonte du système de la protection sociale et des retraites est dès lors l’un des principaux défis posés à la dictature.

Nids vides

Longtemps, le pouvoir a pu compter sur une forte solidarité familiale pour régler le problème. Les enfants prenaient en charge leurs parents lorsque ceux-ci ne travaillaient plus. C’était surtout vrai dans les campagnes, où vivent encore près de 70% des Chinois. Mais avec les réformes économiques, l’individualisme s’impose et l’esprit de famille perd du terrain. C’est ainsi qu’est apparu le phénomène des «nids vides». Il s’agit de personnes âgées dont les enfants «se sont envolés», en clair qui ne s’occupent plus de leurs parents. Selon l’Association chinoise des personnes du troisième âge, 25% des vieux vivraient aujourd’hui dans des «nids vides». Avec l’augmentation de l’espérance de vie, ce taux devrait atteindre 50% en 2005. Pour contrer cette tendance, le pouvoir tente de ranimer un confucianisme axé sur le respect des hiérarchies sociales. «S’occuper des vieux, c’est promouvoir les belles valeurs traditionnelles chinoises», affirment des spots télévisés.

Solidarité en question

Dans les grandes villes, la plupart des retraités bénéficient encore d’un système de pension hérité de l’économie planifiée. Pour beaucoup, c’est déjà insuffisant. Celui-ci a été peu à peu abandonné pour être remplacé par une protection sociale individuelle fonctionnant sur le partage des charges entre les employés, les employeurs et l’Etat. Il peine toutefois à se mettre en place. Selon le 21st Century Business Herald, un journal gouvernemental, les fonds accumulés sur des comptes personnels auraient dû s’élever à 480 milliards de yuans (77 milliards de francs) à la fin 2002. D’après un officiel de la protection sociale, le montant n’était toutefois que de 100 milliards de yuans. Sur les trente et un gouvernements provinciaux, seuls six ou sept avaient des fonds de pensions dans les chiffres noirs. Or, estiment les experts, dans un pays qui vieillit très vite alors que le taux de fertilité chute, la fenêtre d’opportunité pour reconstruire un système sain est étroite, une dizaine d’années tout au plus.

Ce plan exclut toutefois toujours la majorité de la population, c’est-à-dire les résidants des campagnes. Le gouvernement estime qu’il n’a pas les moyens de financer un système de couverture universelle. «C’est une erreur», estime Zeng Yi, directeur du Centre de recherche sur la santé des personnes âgées et les études familiale de l¹Université de Pékin. «Le Produit national brut par habitant de la Chine correspond aujourd’hui à celui de certains pays de l’Europe du Nord au début du XXe siècle, lorsqu’ils mirent en place leur système de retraites des campagnes.»

Relever l’âge de la retraite?

Parmi d¹autres mesures pour encaisser le choc de ce vieillissement, le gouvernement envisage le relèvement de l’âge de la retraite à 65 ans (60 ans actuellement pour les hommes et 55 ans pour les femmes). Il promet également la construction de homes pour vieillards. Moins d’un million de personnes vivent actuellement dans ces maisons de retraites. Certaines d’entre elles n’ont qu’un taux d’occupation de 30%, avec des prix qui restent souvent prohibitifs. Mais il y a également le poids de la tradition, de la honte. Le ministère des affaires sociales a lancé une campagne nationale pour fournir des services communautaires aux personnes âgées qui restent à la maison.

Elles sont financées par des loteries «sociales»…

 

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