La Canada vieillit

De nos jours, il est souvent question du vieillissement de la population canadienne. Les pouvoirs publics se préoccupent des pensions et des services de santé, les annonces télévisées mettent souvent en vedette des acteurs âgés, et les milieux d’affaires recherchent de nouveaux produits susceptibles d’attirer les consommateurs du troisième âge. On vit plus longtemps, non seulement au Canada, mais dans le monde entier. Cette nouvelle longévité est sans précédent.

Par exemple, les Canadiens nés en 1960 peuvent s’attendre à vivre vingt ans de plus que ceux nés en 1900. En même temps, la natalité a baissé, de sorte que la proportion des personnes âgées de plus de 65 ans augmente sans cesse. D’ici l’an 2031, elle sera de 20 pour cent. Ce fait est lourd de conséquences. Qui sont ces Canadiens du troisième âge ? Quel rôle jouent-ils dans la société ? Quels sont leurs besoins ? Comment leur assurera-t-on les soins nécessaires ?

Nous vieillissons tous. Le vieillissement est un processus biologique qui débute à la naissance et prend fin à la mort. C’est toutefois la société qui définit la personne âgée : on s’entend pour qualifier ainsi une personne de 65 ans ou plus. Jusque récemment c’était l’âge auquel la plupart des Canadiens prenaient leur retraite et commençaient à toucher une pension, mais cette situation évolue. Dans plusieurs provinces, les lois sur les droits de la personne ont aboli la retraite obligatoire.

La vieillesse n’est pas définie uniquement par l’âge chronologique. En fait, les personnes âgées ne forment pas un groupe homogène ; il peut exister entre elles des écarts d’âge de 35 ou même 40 ans. C’est pourquoi certains divisent les plus de 65 ans en sous-catégories : les « personnes âgées », les « vieillards » et les « grands vieillards ». Comme les Canadiens vivent plus longtemps, la proportion de la population représentée par chacune de ces sous-catégories change également. Les démographes prévoient qu’en 2031, 45 pour cent des personnes du troisième âge feront partie des « grands vieillards ». Les proportions variables de ces sous-catégories ont des répercussions importantes sur le financement des pensions, l’emploi et le logement, les services de santé et, plus particulièrement, sur la place des personnes âgées dans la société canadienne. En effet, nombre de ces Canadiens assument de nouveaux rôles qui leur permettent de contribuer à l’avenir du Canada.

Chaque Canadien âgé est unique. En même temps, il appartient à un groupe qui présente certaines caractéristiques communes. Ainsi, selon les statistiques, les femmes au Canada vivent généralement plus longtemps que les hommes. Elles représentent 60 pour cent des plus de 65 ans : à cet âge, leur l’espérance de vie est de 19 ans, alors que celle d’un homme est de 15 ans. Les raisons de cet écart sont encore mal connues. Selon certains, les femmes seraient biologiquement supérieures ; selon les autres, les hommes seraient soumis à un plus haut niveau de stress. D’autres encore
soutiennent que les femmes supportent mieux le stress, surtout le stress
émotif. Quoi qu’il en soit, il reste qu’à l’heure actuelle, 58 pour
cent des Canadiens âgés, soit la majorité, sont des femmes.

En outre, la plupart des personnes d ce groupe sont mariées. Bien entendu, la sous-catégorie des « personnes âgées » compte un plus grand nombre de membres mariés que celle des « grands vieillards ». Comme les femmes ont tendance à être plus jeunes que leur mari et à vivre plus longtemps, le tiers environ des Canadiens âgés sont veufs, les femmes (40 pour cent) étant plus susceptibles que les hommes (14 pour cent) de perdre leur conjoint. A l’inverse, 76 pour cent des hommes âgés ont un conjoint, contre 40 pour cent des femmes. Le milieu où vivent ces personnes reflète également ces différences : 78 pour cent des hommes résident avec leur conjoint ou avec un enfant célibataire, comparativement à 47 pour cent des femmes. Cependant, on constate qu’un nombre grandissant, les femmes surtout, choisissent de vivre seuls.

Vivre seul est devenu acceptable et offre une plus grande intimité. Depuis les dix dernières années, on a construit un plus grand nombre d’ensembles domiciliaires (dont beaucoup donnent droit au supplément au logement) à l’intention des personnes âgées. Certains gérontologues (spécialistes de la vieillesse) estiment que ces logements ne sont que des ghettos, parce que leurs habitants vivent séparés du reste de la société. Selon d’autres experts, ce type d’habitation permet aux personnes âgées de partager des intérêts et de mieux résoudre leurs difficultés communes. Beaucoup d’entre elles, néanmoins, préfèrent les immeubles où vivent des gens de tous âges, à proximité du centre-ville, des magasins et des moyens de transport. D’autres optent pour l’indépendance, et demeurent dans leur propre maison. Les préférences personnelles mises à part, ce choix dépend en partie de leur revenu. Bien que la retraite obligatoire ne soit plus tout à fait la norme, un fort pourcentage de Canadiens du troisième âge ne sont plus salariés.

Pour beaucoup, la retraite permet de s’intéresser à d’autres occupations et de consacrer plus de temps à la famille et aux amis. En même temps, la retraite s’accompagne généralement d’une baisse de revenus. Les femmes, tout particulièrement, risquent de se retrouver dans une situation pénible. A l’exception des pensions gouvernementales de vieillesse et du supplément de revenu garanti, les pensions sont liées aux contributions versées pendant les années de travail salarié. Par conséquent les femmes au foyer ne peuvent toucher de prestations du régime de pension d’une entreprise ou d’un autre régime cotisable. Bien des retraitées n’ont occupé que des emplois à temps partiel, intermittents ou mal rémunérés qui ne leur ont donné droit qu’à une pension minime et ne leur ont guère permis d’économiser en vue de leur retraite.

La question du revenu est importante car, mis à part les problèmes pratiques occasionnés par les problèmes d’argent, une bonne santé et un revenu adéquat contribuent
au bien-être et au sentiment d’identité des Canadiens âgés.

Pour l’individu comme pour la société, l’une des principales préoccupations associées à la vieillesse est la dégradation possible de la santé, surtout si elle entraîne une plus grande dépendance personnelle. Bien que la santé se détériore avec l’âge, cette détérioration ne survient que progressivement chez la plupart des personnes âgées et celles-ci apprennent à s’adapter. Cependant, en raison du problème grandissant posé par les soins de plus en plus coûteux, on craint souvent qu’une population vieillissante n’impose un fardeau supplémentaire aux services de santé déjà surchargés.

En réalité, une faible proportion seulement de personnes âgées – environ 20 pour cent – a très souvent recours aux services de santé officiels. La plupart d’entre elles ne les utilisent pas plus souvent que les jeunes adultes, et certaines moins souvent. Bien qu’un grand nombre de Canadiens âgés souffrent d’une maladie chronique, de l’arthrite aux problèmes de la vue, cela ne les empêche pas de mener une vie normale. Les enquêtes démontrent que moins de la moitié de ces personnes souffrent d’une incapacité qui limite leurs activités quotidiennes, et moins du tiers ont des problèmes de santé nécessitant des soins médicaux. Beaucoup craignent les séjours prolongés dans un foyer pour personnes âgées ou dans un centre de soins infirmiers ; cependant, cela n’arrive que dans moins de 10 pour cent des cas. Plus de 90 pour cent des personnes âgées de 65 ans et plus vivent dans leur communauté, ce qui épargne les services de santé.

Outre les maladies chroniques déjà mentionnées, c’est sans doute l’affaiblissement intellectuel que les personnes âgées craignent le plus. Pourtant, il n’existe aucune preuve concluante que le vieillissement entraîne une réduction sensible des facultés mentales ou de la mémoire. Il est vrai que la vue et l’ouïe se détériorent généralement avec l’âge, et les changements associés à cette perte d’acuité peuvent sembler d’origine mentale. La cause la plus fréquente de sénilité, la maladie d’Alzheimer, n’atteint que 5 à 6 pour cent des personnes âgées. Si elle paraît parfois plus répandue, c’est tout simplement que ces personnes sont maintenant plus nombreuses, et non que la maladie fait plus de victimes parmi elles.

De même, si certains Canadiens âgés souffrent de dépression (sans travail valorisant, ils peuvent se sentir inutiles et indésirables), la plupart peuvent être traités avec succès. Dans l’ensemble, le déclin des facultés intellectuelles et l’augmentation des maladies mentales ne semblent toucher qu’une faible proportion des personnes âgées et ne constituent pas des problèmes majeurs de la vieillesse. En fait, les adolescents sont plus sujets à la dépression que leurs grands-parents.

La santé est en bonne part un état physique, mais elle dépend jusqu’à un certain point de la perception que les gens ont d’eux-mêmes. Chose assez étonnante, la plupart des personnes âgées jugent leur santé bonne ou excellente. Les attentes varient. Par exemple, les hommes et les femmes semblent avoir une notion différente de la santé, tant chez les personnes âgées que chez les jeunes. Les femmes avouent plus de symptômes que les hommes.
Selon certains, les femmes seraient en effet plus souvent malades. D’autres affirment que ce n’est pas le cas : les femmes jugeraient plus acceptable de parler de leurs symptômes et se faire soigner. Ou encore, hommes et femmes seraient aussi souvent malades, mais celles-ci, connaissant mieux leur corps, seraient plus sensibles à leurs symptômes. Quoi qu’il en soit, les femmes se jugent généralement en bonne santé. Cette impression, pour les deux sexes, peut être due au fait de continuer à vivre au sein de la collectivité, en toute sécurité. Des soins prolongés leur sont plus souvent nécessaires qu’une intervention médicale coûteuse et ponctuelle.

Au Canada, cependant, les services de santé sont essentiellement conçus pour le traitement à court terme des maladies aiguës. La visite a lieu chez le médecin qui ordonne les médicaments, détermine les examens médicaux à subir et décide de l’admission à l’hôpital, qui assure les soins de courte durée. Le système ne prévoit pas de service de soutien aux personnes ayant besoin d’aide pour continuer à mener une vie autonome. C’est pourquoi on s’est efforcé pendant les années 1970 de mettre sur pied des programmes de soins à domicile et de soutien communautaire. Ces services ont graduellement été étendus pour répondre aux besoins des personnes qui, sans être très malades, ne sont pas non plus très bien portantes. Aide ménagère, livraison de repas et visites à domicile par des infirmières, des thérapeutes, des travailleurs sociaux et des bénévoles sont essentielles non seulement pour les personnes âgées, mais également pour leurs proches. Moins coûteux que le système médical traditionnel, les services de soutien communautaire aident familles et amis à prendre soin des personnes âgées et leur permettent d’assumer ce rôle de soutien plus longtemps.
Base traditionnelle des relations personnelles, la famille a toujours été source de soutien et de permanence pour les personnes de tous âges, et cela reste vrai de nos jours. Malgré l’évolution récente de la famille canadienne, on estime que les proches parents et les amis apportent environ 80 pour cent de tous les soins aux personnes âgées. Cette aide prend diverses formes – travaux ménagers, préparation des repas, transport, emplettes et réparations. Même les personnes placées dans des établissements de soins de longue durée continuent généralement de bénéficier de l’aide de leur famille et de leurs amis.

Nous avons presque tous besoin de compagnie, et les personnes âgées ne font pas exception. Il existe différents types de relations de soutien. Ainsi, c’est surtout auprès de leur conjointe que les hommes semblent rechercher compagnie et intimité. Les femmes, elles, paraissent mieux réussir à remplacer les liens familiaux par les amitiés. Comme les femmes épousent généralement des hommes plus âgés qu’elles et que leur espérance de vie est plus longue, elles doivent souvent prendre soin de celui-ci. Après le conjoint, les autres membres de la famille apportent leur appui. La plupart des personnes âgées vivent près d’au moins un de leurs enfants. Elles préfèrent toutefois conserver autant d’indépendance que possible et vivre chez elles, tout en appréciant beaucoup l’appui de leurs enfants. Les rôles que jouent fils et filles sont quelque peu différents. Le soutien que fournissent celles-ci est souvent d’ordre affectif et pratique, alors que les fils assument la surveillance et apportent une aide financière si nécessaire. Les petits-enfants jouent aussi un rôle dans la vie des personnes âgées, mais il est rare qu’ils s’occupent de leurs problèmes quotidiens.

D’après certains, l’estime de soi chez les personnes âgées dépend particulièrement des liens amicaux. Les amis sont importants car ils partagent les mêmes expériences et ont subi les mêmes changements. De plus, contrairement aux parents, les amis se choisissent. Fondée sur l’affection et les intérêts mutuels, l’amitié se développe habituellement entre gens du même âge, ayant des activités communes et qui voient la vie de façon semblable. L’amitié suppose un échange ; ainsi elle aide à rendre notre vie utile et valable. Il est inévitable que les personnes âgées perdent leurs amis, mais à tout âge on peut se créer de nouvelles amitiés. La compagnie des amis et le partage des activités sociales demeurent l’une des plus grandes sources de satisfaction des Canadiens de tous les âges.

Le vieillissement et les changements qui l’accompagnent font partie de la vie. Pendant les années 1950 et 1960, on prétendait que les personnes âgées n’avaient plus leur place dans la société, puisque les hommes ne travaillaient plus et que les femmes avaient fini d’élever leurs enfants. S’ils étaient veufs, ils avaient également perdu leur rôle de conjoint et de compagnon. On supposait que la vie des Canadiens âgés était pour ainsi dire dépourvue de sens. Cette idée plutôt déprimante n’a plus cours. Aujourd’hui, on dresse un bilan beaucoup plus positif de la vieillesse.

Quelles sont maintenant les activités des personnes âgées, puisqu’elles vivent plus longtemps ? Bien que certaines conservent à la retraite le mode de vie qu’elles avaient pendant la cinquantaine, beaucoup se tournent vers de nouvelles activités et assument de nouveaux rôles. Comme l’espérance de vie est plus longue, il y a de plus en plus de grands-parents. Les jeunes enfants fréquentent maintenant leurs grands-parents pendant une plus grande partie de leur vie — en tant qu’amis, sages conseillers, ou aînés investis d’autorité. De même, les personnes âgées ont du temps à consacrer à leurs amis et à leurs parents, que ce soit pour des visites ou des réunions familiales. Les conjoints des deux sexes, mais plus particulièrement les hommes, se disent heureux de pouvoir consacrer plus de temps à leur mariage.

Contrairement à ceux qui travaillent encore, les retraités n’associent pas loisirs et temps libre. Par conséquent, beaucoup de Canadiens âgés font du bénévolat, sans qualifier ainsi leurs activités. Si certains oeuvrent auprès d’une organisation, la plupart aident tout simplement d’autres personnes de façon informelle.

Vieillir n’est cependant pas un processus sans douleur. Le veuvage, par exemple, est l’un des événements les plus traumatisants de la vie. Ceux et celles qui se retrouvent seuls réagissent de façons différentes : certains, ayant fait le point, décident de rester seuls ; pour d’autres, les relations avec les parents et les amis continuent même après le décès du conjoint. Pour différentes raisons — manque d’argent, santé précaire, sociabilité insuffisante — quelques personnes âgées se retrouvent isolées.

Les Canadiens ont encore beaucoup à apprendre au sujet des problèmes associés au vieillissement. Jusqu’à tout récemment, la plupart des études sur la retraite ont porté sur les hommes, tandis que le veuvage a surtout été étudié chez les femmes. Pourtant, la solitude et la perte de l’estime de soi touchent tout le monde. Nous savons en outre que jeunes et moins jeunes se font la même idée du bonheur. Une bonne santé, de bonnes relations familiales et amicales, une sécurité financière adéquate sont autant de facteurs qui permettent de s’adapter au vieillissement. La retraite obligatoire, la mauvaise santé et le manque d’argent contribuent, par contre, à réduire le niveau de satisfaction à cette période de la vie.

Le nombre croissant de personnes du troisième âge est un phénomène sans précédent. Les Canadiens âgés d’aujourd’hui sont les pionniers d’une société nouvelle en pleine évolution ; ils façonnent les rôles à assumer par leurs successeurs. Pendant trop longtemps, l’accent a été mis sur les difficultés associées à la vieillesse. Cependant, si l’on examine la question de plus près, on s’aperçoit que la plupart des plus de 65 ans s’adaptent bien à leur nouvelle situation, qu’ils maintiennent leurs rapports avec leur famille et leurs amis, qu’ils sont en bonne santé et qu’ils occupent agréablement leurs loisirs. Malgré des tendances communes au groupe, c’est surtout la diversité qui caractérise les personnes du troisième âge, qu’elles aient 65 ou 95 ans, qu’elles vivent en milieu urbain ou à la campagne, qu’elles soient mariées, divorcées ou veuves.

Leurs besoins varient tout autant que leur situation et leur mode de vie. Aussi, vu le nombre croissant de personnes âgées, faut-il prévoir une gamme de services de plus en plus étendue, que ce soit dans le domaine du logement, des soins médicaux traditionnels ou des services sociaux. La façon dont
le Canada relèvera ce défi touchera tous les Canadiens.

 

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