Jean-Marie DRISSE : Gérer la cohabitation entre 3 générations

Jean-Marie DRISSE (Esneux) Gérer la cohabitation entre trois générations :

Dans 10 ans, les plus de 60 ans représenteront 25% de la population et l’on comptera davantage de grands parents que de petits enfants.

Le vieillissement de la population est inéluctable, mais il n’est pas un drame, à condition que l’on sache en prévenir les conséquences et surtout donner un nouveau sens à ces années gagnées sur la mort.

Il faudra s’habituer à vivre avec davantage de personnes âgées. Ce vieillissement en cours concerne toutes nos sociétés occidentales et il entraînera des changements massifs, pendant plusieurs décennies, dans tous les domaines : économique et financier, mais aussi sociologique, politique et même éthique.

Par exemple, aux Etats-Unis, des spécialistes n’hésitent plus à écrire qu’il faut mettre un terme aux travaux de recherche et au traitement de survie des personnes de plus de 75 ans.

Ou encore : « Le troisième âge américain n’a pas le droit de s’offrir une immortalité progressive aux frais de la société ! »

On n’en est pas encore là en Europe, mais la question du vieillissement est sous-jacente dans tous les débats qui président aux futures politiques de santé ; et il existe bien d’autres répercussions sociétales et culturelles que l’on ne soupçonne peut-être même pas.

Comment en sommes nous arrivés là ?

Le vieillissement de la population est lié à trois éléments qui cumulent leurs effets.
D’abord l’allongement de la durée de vie : nous avons gagné vingt cinq ans en quarante ans et les médecins pensent que ce phénomène peut se prolonger. Chaque jour, nous continuons d’augmenter de près de 6 heures notre espérance de vie, soit un an, tous les quatre ans. Chaque enfant qui naît aujourd’hui a une chance sur deux de devenir centenaire.

Un deuxième élément est la chute de la natalité. Le taux de fécondité des femmes a pratiquement été divisé par 2 en vingt ans, de telle sorte que les générations ne se renouvellent plus.

Enfin, le papy-boom qui va exploser à partir de 2005, quand les enfants du baby-boom entreront dans le troisième âge. Dans 10 ans, ce sera une première : il y aura plus de grands parents que de petits enfants. La part des plus de 60 ans, qui représentent aujourd’hui le cinquième de la population, sera proche du quart.

On n’a pas l’âge de ses artères, dit la sagesse populaire, mais celui de ses idées.

Les aînés ne sont plus des petits vieux, mais des personnes souvent dynamiques et en bonne santé.

Demain, les anciens ne se définiront plus par la simple opposition au monde du travail ou aux jeunes, mais par leur nouveau rôle social et les activités qu’ils seront amenés à remplir, au sein des associations, par exemple.

Pour la première fois, trois générations très différentes vont vieillir ensemble pendant près de 18 ans, avec leur mentalité, leur vision du monde, leur comportement, leurs codes…

Aujourd’hui déjà coexistent la génération de la Libération (qui a eu 20 ans en 1945), la génération de Mai 68 et celle du mur de Berlin (20 ans en 1989).

La première a vécu une jeunesse marquée par les épreuves.
Son âge adulte a connu des succès inattendus : regain démographique, prospérité et enrichissement pendant les Trente Glorieuses ; sa retraite est confortable. C’est une génération de constructeurs, de producteurs, privilégiant l’épargne et condamnant le gaspillage.

Rien à voir avec la génération 68, qui eut une jeunesse protégée, gâtée. Pour elle, l’entrée sur le marché du travail a été facile, mais ensuite, les déconvenues se sont multipliées. Les sécurités sociales se fragilisent, l’Etat providence se fissure, l’horizon s’assombrit. Cette génération est celle de la révolution des mœurs, de la libération de la femme… de plus, ce sont des consommateurs, leur « désir » prime, ils sont souvent contre l’autorité, sous toutes ses formes.

Rien à voir non plus avec la troisième génération, celle du mur de Berlin. Cette dernière a connu la galère des petits boulots mal payés, pour ceux qui ont eu la chance d’en obtenir un ; le sida, qui impose certaines règles de conduite, les difficultés de toutes sortes qui entravent son autonomie …mais c’est aussi la génération dont l’horizon est à la dimension du village planétaire et qui surfe sur le cybermonde. Nomade, habituée au changement, urbaine, elle ne croit plus aux idéologies. Elle est pragmatique et le mot « flexibilité » la caractérise.

Cette cohabitation entre ces trois générations n’ira probablement pas sans frictions, voire sans fractures, face à l’explosion des dépenses de santé et le futur poids des retraites.

Si l’on en croit les projections de l’Inami, il faudrait augmenter de 53% le taux de cotisation maladie ou diminuer d’un tiers les taux de remboursement ; ce n’est guère tolérable !

Quant aux retraites, leur poids devrait augmenter de plus de 30% en trente ans.

Mais au-delà de ce constat, il y a un problème plus préoccupant : l’emprise des retraités sur l’économie, via les marchés financiers. Dans le monde, de plus en plus de retraités cherchent à faire fructifier leur épargne via les fonds de pension et leurs intérêts divergent donc de ceux des travailleurs ; car les fonds de pension incitent à la hausse des taux d’intérêt et à la baisse des coûts, notamment les coûts salariaux, ce qui peut entraîner des suppressions d’emplois.

Cette situation est porteuse d’une crise de la complexité qui risque d’aller en s’amplifiant au fur et à mesure que les questions sociétales deviendront plus ardues.

Chacun sait que les évolutions en cours ont des aspects positifs, mais aussi des côtés très négatifs.
Intuitivement, nous savons tous que le temps nous file entre les doigts et que nous ne pouvons pas rester les bras croisés.

Ce qu’il nous faut c’est de l’imagination et des idées nouvelles ; des idées pour imaginer comment les pouvoirs publics, le monde des affaires et la société civile devraient travailler ensemble.
Mais il faut aussi rester vigilant car à penser autrement, on s’égare parfois, mais il est vrai que c’est aussi le prix à payer pour tenter de trouver des modes de résolution à la fois efficaces et rapides.

Certaines idées paraîtront peut-être naïves, comme celle avancée dans la Tribune du 21/11/2005 par Francis WEGIMONT (*) qui propose d’abord de pourvoir à toutes les places vacantes au cadre dans le Secteur Public et ensuite de diversifier les services répondant aux demandes de la population, comme par exemple : plus de crèches, plus d’animateurs de rue, plus de médiateurs, plus d’écoles de devoirs, plus d’accueil parascolaire personnalisé… de quoi créer 20.000 à 30.000 emplois.
Or c’est peut-être ailleurs que se trouve la vraie naïveté : dans la conviction que, comme d’habitude, les choses se règleront d’elles-mêmes. Au train où elles sont parties, il n’y a aucune chance !

Il serait temps que la classe politique comprenne qu’il faut prendre en compte de telles idées qui bousculent certainement leur ligne de pensée mais surtout peuvent l’enrichir d’une perspective nouvelle.
(*) Francis WEGIMONT est Secrétaire général de l’IRW/CGSP

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