Cette semaine, dans le monde entier, les nations célèbrent la Journée internationale des personnes âgées des Nations unies. Alain Monteux, Président de Tunstall France & Benelux, saisit l’occasion pour réfléchir à la stigmatisation liée à l’âge, en soulignant pourquoi il est essentiel de changer notre regard collectif sur le vieillissement afin de permettre aux personnes âgées de mener des vies plus heureuses et plus indépendantes.
Par Alain Monteux, le Président de Tunstall / Vitaris, 1er Téléassisteur de France
La stigmatisation liée à l’âge nous concerne tous. Cette semaine, pour la première fois, quelqu’un m’a cédé sa place dans le métro. Voilà, je suis officiellement perçu comme vieux aux yeux des autres.
L’âgisme, c’est-à-dire les stéréotypes et les préjugés envers les individus en fonction de leur âge, peut entraîner des conséquences gravement néfastes sur la santé, tout en réduisant la qualité de vie non seulement en raison d’expériences individuelles négatives, mais aussi parce que des mesures ne sont pas prises par crainte de la discrimination.
L’adoption de la téléassistance, c’est-à-dire de dispositifs technologiques destinés à favoriser l’autonomie, peut transformer la vie et améliorer considérablement la qualité de vie des personnes âgées, en renforçant leur indépendance, en réduisant la solitude et en diminuant le risque de chute et les conséquences des chutes graves. Pourtant, beaucoup hésitent à franchir le pas par peur d’être étiquetés comme « vieux » même si le besoin est avéré. En France, nous voyons ce problème se manifester de toutes sortes de façons : l’âge moyen d’un nouvel utilisateur de Tunstall est de 82 ans, et l’entrée en maison de retraite est retardée en moyenne à plus de 85 ans. Derrière ces chiffres se cache une vraie résistance sociale face au vieillissement et une difficulté à accepter l’aide, même quand elle est vitale.
La téléassistance ne peut pas, à elle seule, résoudre le défi sociétal et culturel de l’âgisme. Cependant, les solutions que nous fournissons et l’autonomie qu’elles permettent doivent être considérées comme une partie de la solution. Tout d’abord, il est essentiel de redéfinir le rôle de la Téléassistance, au lieu de voir cette solution comme un signe de vieillesse, il faut la considérer comme une alliée pour préserver l’autonomie que nous voulons tous protéger chez nos proches, notamment quand elle est prise à temps et non quand cela est trop tard.
La situation en France
Selon l’Insee, le nombre de personnes âgées dépendantes en France devrait doubler entre 2015 et 2030. Plusieurs initiatives ont été lancées ces dernières années pour soutenir ce segment croissant de la population, comme la régénération de la filière silver, la systématisation des « gérontopoles » qui favorisent le partage de la recherche, de l’innovation et de l’expertise sur le vieillissement. Néanmoins, les soins et la prise en charge des personnes âgées restent fragmentés.
La réputation des maisons de retraite en France a été ternie par une série de scandales. Bien que ces problèmes ne soient pas directement liés à l’âgisme, ils renforcent l’idée que les établissements pour personnes âgées dépendantes sont une solution de dernier recours et un des lieux la dignité n’est pas toujours respectée. La majorité des établissements disposent d’un personnel très engagé et fournissent un service de qualité, mais ces incidents et ce bashing à sens unique, alimentent les perceptions négatives du vieillissement.
Le « Plan anti-chute » est une initiative gouvernementale visant à réduire de 20 % le nombre de chutes fatales ou invalidantes en deux ans. Ce plan reconnaît que les systèmes nationaux ne sont pas encore suffisamment adaptés pour prévenir les chutes. La téléassistance est placée au cœur de cette stratégie de réduction, soulignant que la France est en retard dans l’adoption de ces solutions par rapport à ses voisins européens (avec un taux de pénétration chez les personnes de plus 65 ans de 5 %, contre 14 % au Royaume-Uni et 10 % aux Pays-Bas, selon Berg Insight).
Nous constatons chaque jour les défis que le Plan met en lumière à travers nos interactions avec les utilisateurs finaux. Le stigmate lié à l’adoption de la téléassistance reste un obstacle majeur. Certaines organisations, par leur langage, renforcent l’idée que ces solutions sont réservées aux personnes fragiles, oubliant qu’elles sont avant tout des outils de prévention et de lien social. Elles peuvent tout autant être bénéfique à ceux qui sont dans une logique de soutien préventif qu’à ceux nécessitant une sécurisation plus importante.
Les impacts de l’âgisme
Malgré des exemples de personnes actives dans la vie publique jusque dans leurs 70, 80 ans et plus, défiant ainsi les perceptions habituelles liées au vieillissement, cette réalité n’a pas encore pénétré la société dans son ensemble, et le stigmate de l’âge persiste. Nous avons un premier ministre de 73 ans Paul McCartney a 82 ans, un de plus que Mick Jagger, et Clint Eastwood est né en 1930. L’âgisme s’exprime entre individus, au sein des institutions et même en nous-mêmes, de manière intériorisée. En raison de ce stigmate, les personnes âgées hésitent à demander de l’aide, ce qui peut entraîner des conséquences graves pour la santé. Elles peuvent penser qu’un problème médical est simplement lié au vieillissement et ne pas chercher de traitement avant que la situation ne s’aggrave. L’âgisme touche aussi les professionnels de santé, qui peuvent négliger certains symptômes à cause de ces mêmes préjugés. Il y a quelques semaines à peine, j’en ai fait l’expérience moi-même : un médecin m’a dit qu’il ne pouvait rien faire pour ma douleur… j’étais simplement en train de vieillir !
L’isolement social causé par le stigmate de l’âge est également préoccupant, mais c’est un domaine où la téléassistance peut apporter une aide précieuse. Les personnes âgées peuvent s’isoler ou éviter les situations sociales par peur que leur vieillissement ne soit observé, ce qui entraîne solitude et un déclin plus rapide de leur santé physique et mentale. Les effets de l’âgisme peuvent également tendre les relations familiales, créant des incompréhensions entre les générations.
Traiter la stigmatisation du vieillissement ne concerne pas seulement les individus ; elle est souvent profondément ancrée dans les structures sociales et culturelles. Mais dans le secteur de la téléassistance, nous pouvons faire partie de la solution.
Le rôle de la Téléassistance
Chez Tunstall, notre vision est celle d’un monde où chacun a la liberté de vivre pleinement, dans le lieu de son choix. L’indépendance et la capacité de faire des choix concernant sa propre vie, quel que soit l’âge ou la vulnérabilité, sont au cœur de nos services. Mais comment cela contribue-t-il à changer les perceptions négatives du vieillissement ?
Nous pouvons contribuer à changer les mentalités en parlant différemment de notre technologie. En France, on a encore souvent l’image de notre technologie comme étant « juste un bouton rouge » à presser en cas d’urgence, comme une solution du passé. C’est loin d’être vrai. Les solutions de téléassistance ne sont peut-être pas nouvelles, mais elles ont prouvé leur efficacité en sauvant et améliorant des vies, tout en générant des économies tangibles pour le système social.
Les solutions de téléassistance peuvent être un pont essentiel pour les personnes âgées moins à l’aise avec la technologie, tout en les connectant 24h/24 à divers services déjà existants, les rendant immédiatement accessibles. Par exemple, elles permettent de bénéficier de coaching en activité physique, d’apprendre à se relever après une chute, de solliciter des petits services locaux comme changer une ampoule, d’impliquer systématiquement un ergothérapeute, de faciliter les échanges avec la famille et les amis, ou encore de trouver un médecin et organiser des consultations à domicile.
Plutôt que d’alimenter le stigmate, l’utilisation des solutions de téléassistance permet au contraire de favoriser le contact social, le soutien médical et l’indépendance, jouant ainsi un rôle clé dans la déconstruction des perceptions négatives. Ces technologies ne sont pas un signe de fragilité, mais un outil puissant pour rester connecté, autonome et actif, quel que soit l’âge.
Un regard sur les progrès à l’échelle mondiale
La France n’est pas seule à faire face aux impacts de l’âgisme. Pour y remédier, nous pouvons nous inspirer de ce que font nos voisins proches, comme l’Espagne, ainsi que d’initiatives mondiales qui contribuent à changer la perception, tant sur la téléassistance que sur le vieillissement en général.
En Espagne, par exemple, l’intégration des services sanitaire et social permet une approche plus constructive de la téléassistance et contribue à briser les idées reçues. Ainsi, de nombreuses personnes en Espagne bénéficient de solutions de téléassistance financées par l’État, soutenues par des modèles proactifs et préventifs.
La nature fragmentée des services pour les personnes âgées en France et ailleurs contribue à ce problème. Le système repose sur le fait que les individus recherchent eux-mêmes des solutions de téléassistance, plutôt que de bénéficier d’un fléchage et d’un financement clair, comme c’est le cas en Espagne. Selon mon expérience personnelle, beaucoup de gens sont prêts à investir pour se protéger eux-mêmes ou protéger leurs parents vieillissants, mais souvent ils ne savent tout simplement que les solutions de téléassistance existent. Et construire une base de données de services ne résoudra pas le problème s’il n’y a pas de ressources humaines pour créer du lien et expliquer les différents services et possibilités pour l’adapter aux besoins de chacun. Nous pouvons citer le cas du Département de la Haute Garonne, qui a le plus haut taux de pénétration de la Téléassistance en France par la mise en place d’un programme ambitieux et pris en charge.
En France, la responsabilité repose beaucoup sur l’individu, et une combinaison de manque de sensibilisation et de stigmate intériorisé peut empêcher de demander de l’aide. Dans un modèle plus intégré, où le lien entre les différentes solutions existantes est réel, les professionnels de santé ou de soins peuvent suggérer ces solutions, et l’accès au soutien est facilité. Un exemple concret se trouve à Barcelone, où par exemple, des formations sont proposées aux personnes âgées sur la manière de tomber, réduisant ainsi la peur de chuter et potentiellement le risque de chutes graves. Les professionnels de santé suivent ensuite les personnes ayant déjà chuté pour leur offrir un soutien. C’est également le service que nous mettons en place pour nos clients en Belgique dans le cadre d’une approche préventive et numérique intégrée avec un service d’ergothérapeute.
Ces initiatives peuvent véritablement changer la vie des individus et encourager une approche moins stigmatisante pour accéder à la téléassistance et à d’autres formes de soutien. Mais un changement de mentalité collectif est aussi nécessaire au sein de la société. À mesure que nos populations vieillissent, nous devons adopter une vision globale de la manière dont nous soutenons les personnes âgées, et ne pas les considérer comme à part dans la société. Cela implique de repenser des domaines comme le logement, l’aménagement urbain, les transports et la mobilité, et d’inclure les personnes âgées dans les processus de décision. Mon père, qui vivait à Paris, se plaignait souvent que ses trajets étaient dictés par l’emplacement des toilettes et des bancs, ce qui illustre à quel point les espaces urbains peuvent être mal adaptés pour les résidents âgés.
Des initiatives comme le Réseau mondial de l’OMS pour les villes et communautés amies des aînés et sa branche française, le Réseau Francophone des Villes Amies des Aînés, jouent un rôle important dans ce domaine. Elles aident à briser l’âgisme en montrant la diversité des activités dans lesquelles les personnes âgées sont actives au sein de leurs communautés. Ces initiatives encouragent également des changements dans les domaines mentionnés précédemment, tout en partageant les meilleures pratiques entre les régions. Tunstall Vitaris est d’ailleurs partenaire et sera juré du prix 2024 Territoire & Santé, quelle convivialité à l’égard des ainés.
Comme nous l’avons vu, la réticence à adopter la téléassistance ou à rechercher d’autres formes de soutien est souvent liée à la peur d’être perçu comme dépendant, un sentiment qui découle de l’âgisme et des stigmates associés. Pour y remédier, les gouvernements, les entreprises et chacun d’entre nous, dans nos vies pros et persos, avons un rôle à jouer. Dans le secteur de la téléassistance, nous pouvons briser ces stigmates en rendant nos produits et services accessibles, et en démontrant leur impact positif, souvent mal compris et méconnu. En redéfinissant la manière dont nous parlons de ces technologies et les mettons en œuvre, nous pouvons faire tomber les clichés qui isolent les personnes âgées et limitent leur accès à l’aide dont ils ont besoin.