Depuis une vingtaine d’années, les réformes des retraites se succèdent avec les gouvernements. Si les textes diffèrent, ils ont toujours une même conséquence : reculer l’âge du départ à la retraite. Des décisions guidées par des objectifs économiques mais dont les répercussions sociales sont encore méconnues. Ces mesures remettent en lumière la question de la relation entre travail et santé. Le travail a-t-il des répercutions sur l’état physique et psychologique des salariés ? L’allongement de la vie active peut-il être nocif ? Certaines catégories de population sont-elles plus sensibles que d’autres aux réformes ? Ces questions, plus que jamais d’actualité, font débat dans le milieu académique.
Par Clémentine Garrouste, Université Paris Dauphine – PSL
Il faut dire que l’évaluation des effets du travail sur la santé soulève plusieurs difficultés. D’une part, les études réalisées sont difficilement comparables entre elles, du fait des divergences méthodologiques et des différences institutionnelles, économiques et sociales entre les pays étudiés. D’autre part, les chercheurs sont confrontés à un problème de double causalité : le travail peut avoir des effets positifs ou négatifs sur la santé, mais avoir une bonne santé conditionne l’accès à un emploi. C’est ainsi que de nombreuses personnes cessent leur activité pour des motifs de santé. Il s’agit donc de déterminer si l’individu est en moins bonne santé car il ne travaille plus, ou s’il cesse de travailler du fait d’un mauvais état de santé.
La retraite, c’est la santé…
Hélène Blake et moi-même avons donc considéré l’impact de la réforme Balladur de 1993. Cette dernière a donné lieu à deux principaux changements. Tout d’abord, la durée de cotisation a été allongée : le nombre de trimestres requis pour bénéficier d’une retraite à taux plein est passé de 150 (37,5 ans) à 160 trimestres (40 ans). Ensuite, le calcul du salaire de référence, qui sert à établir le montant de la retraite de base, a été modifié : il s’appuie désormais sur la moyenne des salaires des 25 dernières années, au lieu des 10 dernières années précédemment. Ces deux paramètres incitent les individus à travailler plus longtemps.
La réforme constitue ainsi un choc exogène, qui affecte le choix des travailleurs de poursuivre, ou non, leur activité professionnelle.
Nous nous sommes ensuite appuyées sur les données du Baromètre santé de l’INPES (Institut National de prévention et d’éducation pour la Santé) qui évalue la santé physique, mentale et la vie sociale des sondés, afin de mesurer l’évolution de la santé des seniors suite à cette réforme. Nos travaux, réalisés dans le cadre de la chaire Santé Dauphine, montrent ainsi un effet positif de la retraite sur la santé. Toutefois, les résultats sont variables selon les catégories de la population. Les premiers bénéficiaires sont les hommes non diplômés qui voient leur état physique nettement amélioré par le passage à la retraite. Cela s’explique certainement par le fait que les moins diplômés exercent les métiers les plus pénibles physiquement. Les plus diplômés, quant à eux, profitent de leur retraite pour développer leur vie sociale.
…surtout pour les non diplômés
Nous avons ensuite comparé l’évolution de la santé des salariés du privé, touchés par la réforme, à celle des salariés du public, non concernés. Même si le niveau de santé des deux groupes diffère, les deux indices devraient théoriquement suivre la même courbe d’évolution.
Or, nous constatons que la santé des salariés du privé se dégrade plus rapidement que celle des salariés du public. La réforme a donc bien des conséquences négatives sur la santé. Les non diplômés sont là encore les premiers touchés, confirmant les résultats précédents. Cette dégradation de la santé peut à la fois s’expliquer par l’allongement de la période active, mais aussi par l’effet revenu de la réforme. Le calcul de la pension ayant été modifié, les retraites sont plus faibles compliquant, par exemple, l’accès aux soins.
La réforme des retraites de 1993 a eu des conséquences négatives sur la santé et a généré, en particulier, une dégradation de la condition physique des moins diplômés. Est-ce à dire que toutes les décisions prises pour décaler l’âge de la retraite ont et auront de telles répercussions ? La réponse doit être prudente car la structure de la population évolue, notamment en termes de niveau d’éducation. Les travailleurs d’hier ne sont pas ceux d’aujourd’hui, ce qui peut changer les résultats. Les conclusions de l’étude incitent néanmoins à mieux considérer les effets indésirables des réformes.
Ces derniers doivent être inclus dans l’évaluation globale d’une politique, tant du point de vue social qu’économique. Ainsi, les coûts générés par la dégradation de la santé des travailleurs « âgés » sont à déduire des économies réalisées par le recul de l’âge de la retraite. Des mesures spécifiques, ciblant les personnes les moins diplômées, sont certainement nécessaires. En ce sens, la création d’un compte pénibilité, qui doit permettre à certains salariés de bénéficier d’un départ anticipé, représente un premier pas dans la prise en compte de ces problématiques.
Co-auteure de cette étude, Hélène Blake travaille à la Direction générale du trésor sur les questions de redistribution(fiscalité, politiques familiales…). Docteure en économie et diplômée de l’ENSAE, elle s’est notamment intéressée dans ses recherches à l’emploi des séniors, les politiques d’emploi, la santé au travail et l’économie du bien-être.
L’étude en référence a été publié dans la revue “Les Cahiers Louis Bachelier”
Clémentine Garrouste, Maître de conférence en économie, Université Paris Dauphine – PSL
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.