Le vieillissement des populations turlupine pas mal. Deux politologues dont Giuliano Bonoli (Uni-FR) ont ausculté onze systèmes de retraites. Le bon sens à la suisse s’en sort plutôt bien.
propos recueillis par christiane imsand
La Suisse n’est pas le seul pays à connaître un problème de vieillissement démographique. Tous les pays développés sont touchés par ce phénomène. En Asie, l’évolution est même particulièrement rapide. Il a fallu 117 ans à la France pour que la proportion de la population âgée de 65 ans ou plus passe de 7 à 14% contre 24 ans au Japon.
Dans ces conditions, il est utile de savoir comment les uns et les autres réussissent à financer leur système de retraite. Cette étude comparative existe. Elle a été menée, sur mandat du Gouvernement japonais, dans onze pays développés d’Europe, d’Asie et d’Amérique du Nord. Il en résulte un ouvrage qui vient de sortir de presse: «Ageing and pension reform around the world». Il regroupe les contributions de onze politologues sous la direction de Giuliano Bonoli, professeur à l’Université de Fribourg, et Toshimitsu Shinkawa, professeur à l’Université de Kyoto. Interview.
Y a-t-il des facteurs qui distinguent l’évolution démographique des pays considérés?
Giuliano Bonoli: – Ils sont tous confrontés au problème du vieillissement de leur population mais la situation démographique est moins dramatique aux Etats-Unis et au Canada. D’une part, ce sont deux pays d’immigration et les immigrants sont généralement jeunes; d’autre part, le taux de fécondité permet encore le renouvellement de la population. Aux Etats-Unis, il atteint 2,1 enfants par femme alors qu’il est largement inférieur à 2 en Europe.
L’immigration peut-elle retarder le vieillissement européen?
– En l’an 2000, les Nations Unies ont examiné dans quelle mesure l’immigration pourrait compenser l’évolution démographique. Dans le cas de l’Allemagne, ils ont calculé qu’il aurait fallu 150 millions d’immigrants entre 2000 et 2040. On voit bien que ce n’est pas réaliste. Par contre, on commence à sentir les effets du taux de natalité, proche de 2 enfants par femme, qui caractérise depuis plusieurs décennies les pays scandinaves et la France. La transition démographique sera moins difficile à gérer pour ces pays que pour l’Europe du Sud, l’Allemagne et la Suisse où le taux fluctue entre 1,2 et 1,5 enfant par femme.
Certains systèmes de retraite permettent aussi de mieux affronter l’avenir. Est-ce que les pays connaissant un système à plusieurs piliers ne s’en sortent pas mieux?
– Effectivement. Les expertises de l’OCDE et de la Banque mondiale encouragent des formules à deux ou trois piliers, à l’instar de ce que nous connaissons en Suisse. L’idée est de limiter l’apport de la répartition par rapport à celui de la capitalisation. Dans la plupart des pays, le modèle dominant a été celui de la répartition qui est très sensible au vieillissement démographique. Il fonctionne bien lorsque vous avez un rapport de 4 à 5 cotisants pour 1 retraité. Mais l’effort demandé sera disproportionné quand on arrivera à un rapport de 2 cotisants pour 1 retraité vers 2040.
Avec ses trois piliers (AVS, épargne professionnelle et épargne personnelle), la Suisse est-elle un modèle?
– Un rapport de la Banque mondiale avait défini le système suisse comme le triomphe du bon sens car il est efficace pour lutter contre la pauvreté des personnes âgées et supportable pour l’économie. La littérature spécialisée fait de la Suisse et des Pay-Bas les deux pays européens où la situation des rentes est la plus sûre.
Et les pays où la situation est la plus critique?
– Je dirais l’Italie. Elle a adopté en 1995 une réforme qui a coupé drastiquement dans les rentes. Les effets se feront sentir vers 2015-2020. La réforme prévoyait de compenser ces coupes par un système de fonds de pension mais ceux-ci n’ont pas encore décollé, si bien que plusieurs générations risquent de souffrir d’une couverture insuffisante.
L’Allemagne est aussi dans une situation délicate…
– Oui. Car au problème du vieillissement s’ajoute comme en Italie un taux d’actifs relativement bas en raison du chômage, du recours massif aux préretraites et du faible taux d’occupation des femmes.
Quelles sont les solutions privilégiées par les différents pays concernés?
– La direction globale est celle du passage à un système à plusieurs piliers, même si les poids respectifs du 1er et du 2e piliers restent très inégaux. En Italie et en Allemagne, le 1er pilier reste le plus important alors qu’en Suisse les deux piliers sont à peu près équivalents.
En Suisse, le citoyen est écartelé entre les prévisions pessimistes du Département fédéral de l’intérieur (DFI) et les prévisions optimistes des syndicats. Qui croire?
– Les deux projections prévoient un manque de financement à l’horizon 2040. Pour le DFI cela équivaut à 5 ou 6 points de TVA supplémentaires alors que pour les syndicats ce sera au maximum 3 points de TVA. Ces différences reposent sur une évaluation différente du taux d’emploi. Selon le DFI, il va rester constant durant toute la période considérée, alors que les syndicats prévoient une extension. Il est impossible de dire qui a raison. A mon avis, il faut prendre ces deux projections comme des pistes possibles entre lesquelles il nous appartient de choisir. Si l’on privilégie la piste syndicale, il faudra prendre des mesures pour concrétiser l’extension de l’emploi. Cela suppose des politiques de soutien, en particulier pour les femmes qui sont les championnes du temps partiel. Il faut développer des politiques qui permettent de concilier vie professionnelle et vie familiale. Ces politiques ont un impact positif non seulement sur le taux d’activité professionnelle mais aussi sur la natalité.
Et l’initiative syndicale pour la retraite à 62 ans?
– Je crois qu’elle répond à une attente forte au sein de la population, mais peut-être qu’actuellement les priorités sont ailleurs. De nos jours, ce ne sont plus les personnes âgées qui sont les plus mal loties, mais les familles nombreuses, les familles monoparentales et les jeunes qui ont de la peine à entrer et à rester dans le monde du travail.
CI
Références: «Ageing and pension reform around the world». Par Giuliano Bonoli et Toshimitsu Shinkawa. Edward Elgar publishing, UK.
Interview publié dans La Liberté, le Nouvelliste, L’Impartial/Express et l’Agefi.