Pourquoi, lorsqu’on évoque le vieillissement de la population, parle-t-on immanquablement des scénarios sombres, des lendemains difficiles, des coûts incommensurables pour notre société?
Le pouvoir gris qui prend forme et se structure en notre sein est une réalité tangible; certes, le vieillissement de la population nous forcera à nous regarder, à réexaminer nos modes de fonctionnements, nos politiques et nos mentalités. Mais l’émergence d’une force mature, avec son bagage et sa sagesse, ne peut-elle être vue comme un apport précieux plutôt qu’une calamité?
Vers un changement des mentalités?
Pour le sociologue Jean Carette, qui se consacre à ces questions depuis 25 ans, le vieillissement de la population est une bonne nouvelle pour nous tous. « ;Un enfant coûte cher, socialement parlant, dit le sociologue. Pendant 20 ans, il faut investir en lui, tandis que les gens âgés ont déjà payé, et majoritairement, ce sont eux qui possèdent le capital. Le vieillissement est un acquis extraordinaire de la société. ;»
« ;J’ai 60 ans. Il y a 200 ans, je serais mort. Aujourd’hui, je continue à apporter des choses à la société, et pas uniquement économiquement. En avançant en âge, nous prenons une densité, comme un vin quand il est bon. ;»
Malheureusement, selon l’expert, la société nous fait perdre notre importance quand nous vieillissons. On souffre beaucoup d’âgisme contre les vieillards. Ce rejet n’est pas facile à enrayer, selon le sociologue, car la société ne perçoit les individus que par leur capacité à gagner de l’argent. Les civilisations précédentes respectaient les individus au-delà de leur dimension économique, ce qui n’est plus guère le cas, d’après Jean Carette.
Les impôts, les retraites ;:
D’un côté moins optimiste, le système de retraite est confronté à un défi majeur, lié au contexte démographique dans lequel l’espérance de vie s’allonge et les générations nombreuses de l’après-guerre vont partir à la retraite.
« Au Québec, il y a 2000 prises de retraite par semaine à un âge moyen de 58 ans. Sur ces 2000 personnes, la moitié ne savent pas qu’ils prennent leur retraite. Ils tombent au chômage et espèrent revenir sur le marché du travail. Ils traînent jusqu’à 65 ans. » – Jean Carette
Le vieillissement rapide de la population aura un impact sur les finances publiques et sur l’équilibre budgétaire des gouvernements. Le ratio de la population qui supporte la majorité des charges sociales, à savoir les gens de 20 à 64 ans, passera de cinq pour un à deux pour un d’ici le milieu du 21e siècle. La base fiscale de l’État se trouvera réduite d’autant, avec des conséquences pour les services sociaux. Par contre, le vieillissement fera baisser le coût de certains programmes, comme ceux d’Éducation.
Aurons-nous assez d’argent pour nos retraites ?
Une enquête récente de Statistique Canada montre que plus de 1,5 million de ménages canadiens dont le chef de famille a 45 ans ou plus ne contribuent pas à une caisse de retraite privée. Ces Canadiens devront donc compter sur les retraites gouvernementales ainsi que sur les épargnes qu’ils auront pu accumuler d’ici la retraite. Le problème est qu’une faible minorité de gens achètent suffisamment de REER pour s’assurer un niveau de vie comparable à celui de la vie active. Cependant, bien des experts précisent qu’après la retraite, les besoins et dépenses diminuent sensiblement.
L’impact sur la santé
On n’entend que cela, on ne lit que cela : le coût de la santé augmente à une vitesse effarante. Les dépenses totales des Canadiens ont franchi en 2001 la barre psychologique des 100 ;milliards de dollars. Et bien entendu, une partie de cette augmentation est imputable aux soins exigés par une population vieillissante. Avec l’âge, nous utilisons de plus en plus les services de santé. Avant 65 ans, la dépense publique annuelle en santé et en services sociaux était inférieure à 2000 $. À 65 ans, ce montant se chiffre à 6000 ;$, pour passer à 10 ;000 $ à 80 ans et à 16 ;000 ;$ après 85 ans. Avec un peu d’ironie, on pourrait dire qu’en atteignant son but, à savoir nous garder en vie le plus longtemps possible, la médecine crée son propre problème, car plus nous vivons longtemps, plus nous pesons lourd sur le système.
Au Québec, par exemple, la proportion du produit intérieur brut consacrée à la santé et aux services sociaux pourrait passer de 7 ;% en 1998 à 15 ;% en 2050. Ce poids sur le système de santé ira en s’accroissant au fur et à mesure que la génération des baby-boomers deviendra, elle aussi, âgée.
Cette crise du système de santé face à une population vieillissante a été mise en évidence à plusieurs reprises, que ce soit au Québec dans le cadre de la Commission d’étude sur les services de santé et les services sociaux (commission Clair) ou, tout récemment, par le rapport intérimaire déposé par Roy Romanow, chargé d’une commission royale sur la réforme du système de santé.
Selon des données récentes de l’Institut canadien d’information sur la santé, on constate que le secteur public assume toujours une grande majorité des dépenses de santé. Le Canada et la France se situaient, en 1998-1999, au 3e rang des pays du G-7 en ce qui concerne l’importance des ressources consacrées à la santé. Par contre, le Québec est l’une des provinces qui consacre le moins d’argent par habitant pour soigner la population. Les changements démographiques poussent le gouvernement à chercher des solutions pour un avenir qui, sinon, promet d’être difficile.