Désamorcer la « bombe démographique »: la stratégie de l’Union Européenne

Désamorcer la « bombe démographique » : la stratégie de l’Union Européenne

Par Stéphanie MEILLER Le syndrome est bien connu des pays européens : importante chute de la fécondité, accroissement de l’espérance de vie ; vieillissement de la population ; diminution de la population active. Le diagnostic qui s’impose est généralement douloureux : réformes drastiques des systèmes de protection sociale et ‘modernisation’ du marché du travail. Dans quelle mesure l’Union Européenne a-t-elle une carte à jouer dans ce domaine qui relève essentiellement des Etats Membres ? Quelles sont les pistes évoquées pour relever le défi du challenge démographique sans perdre de vue les acquis du ‘modèle social européen’, notion elle-même très controversée ? Autant de questions qui ont resurgi avec la publication par la Commission de sa stratégie sur l’avenir démographique de l’Europe en octobre dernier. Mais que fait l’Union Européenne ?

 

Dans un domaine relevant a priori de la compétence des états membres, l’échelon communautaire a pour fonction de recueillir et disséminer l’expertise nécessaire sur les enjeux décrits auparavant, afin de stimuler les échanges d’expériences entre les différents systèmes, et de suggérer quelques pistes de réflexion et/ou d’actions concrètes communes.

Dans ce contexte, la Commission a tout d’abord publié un Livre vert (mars 2005) pour consulter les Etats membres et autres parties prenantes dans le débat démographique. Selon ce document, le défi démographique passe notamment par une mise en œuvre plus effective de l’agenda de Lisbonne (et notamment de l’objectif de taux d’emploi de 70% via un accès à l’emploi des jeunes facilité et en repoussant l’âge de fin d’activité), par une modernisation des systèmes de santé, des services sociaux et des réseaux de solidarité entre les générations, et par une réévaluation de l’immigration (comme élément nécessaire, bien qu’insuffisant en soi, de la résolution de la « crise » démographique).

 

 

Suite à l’impressionnant ‘feedback’ reçu par la Commission, aux avis favorables du Comité économique et social européen, du Comité des régions, du Conseil, et aux rapports des parlements nationaux et européens appelant à plus d’Europe dans ce débat, le Commissaire européen à l’emploi et aux affaires sociales Vladimir Špidla a présenté une Communication ; sur « L’avenir démographique de l’Europe, transformer un défi en opportunité» (12 octobre 2006).

La proposition identifie cinq domaines d’action stratégique : • ; ; ;Favoriser de nouvelles politiques visant à mieux équilibrer vie professionnelle, privée et familiale (en parallèle de la Communication, la Commission a d’ailleurs lancé la première étape d’un processus de consultation des partenaires sociaux sur ce point spécifique) ; • ; ; ;Améliorer les possibilités d’emploi pour les personnes âgées ; • ; ; ;Encourager une meilleure productivité des Européens au travail ;
• ; ; ;Prendre en compte l’impact positif de l’immigration sur
le marché du travail ;
• ; ; ;Garantir des finances publiques viables pour assurer un
niveau adéquat de protection sociale sur le long terme ;

Le
défi démographique européen: quelques chiffres
Le
nombre moyen d’enfants par femme (« indice de fécondité conjoncturel
») dans l’UE à 25 s’établissait à 1,5 en 2004 – bien en-deçà
du seuil de remplacement des générations de 2,1 enfants par femme.

Toutefois, bien plus que cette mauvaise performance – toute relative eu égard à la croissance exponentielle de la population mondiale – c’est le vieillissement structurel des européens qui pose problème. En effet, selon une étude de la Commission et du Comité de Politique Economique présentée au Conseil ECOFIN en février 2006, le nombre de personnes âgées de plus de 65 ans devrait augmenter de 58 millions d’ici à 2050 (+77%), entraînant une baisse de la population active de 48 millions de personnes (-16%).

Les conséquences en termes d’activité économique devraient s’en ressentir puisque le taux de « croissance potentielle » annuelle du Produit National Brut en Europe devrait passer de 2-2,25% aujourd’hui à 1,25% en 2040. Sans parler des pressions sur les systèmes nationaux de protection sociale.

Le document insiste également sur le fait que la ; « bombe démographique » s’explique par « un problème de retraites, et non de vieillissement », incriminant « l’incapacité des politiques actuelles à la nouvelle donne démographique et la réticence des entreprises et des citoyens à modifier leurs anticipations et comportements, en particulier face à la modernisation du marché du travail. »

Entre autres recommandations, la Commission rappelle à l’ordre les états membres quant à leurs engagements de Lisbonne, préconise des réformes articulées autour de l’approche du « cycle de vie » et vise à intégrer le « défi démographique » dans toutes les autres politiques publiques nationales et européennes.

Relever le défi dans l’esprit du ‘modèle social européen’

Le traitement des questions démographiques au niveau communautaire suit le modèle de la « méthode ouverte de coordination » désormais devenu référence en matière sociale (cf. stratégie européenne pour l’emploi, stratégie de Lisbonne, etc.). Ce processus non législatif (donc non-contraignant) instaure un type de travail collectif entre les états membres, qui se fixent des objectifs, s’évaluent entre eux, en bref, un exercice de persuasion et d’apprentissage mutuel. Or, l’efficacité de cette méthode est sujette à débats. Il en va de même pour les instruments « intégrés » ; (cf. développement durable) sur le modèle desquels Vladimir Špidla a bâti sa stratégie démographique.

Certes, regarder comment le voisin essaie de s’en sortir ne peut pas nuire. Surtout que la Commission dresse un état des lieux des « success stories » assez diversifié des réformes en cours, faisant à la fois l’éloge des instruments de « fléxicurité » nordiques, des politiques généreuses en termes de conciliation travaille/famille/personne (France), du relèvement des retraites minimales
garanties pour lutter contre la pauvreté des personnes âgées (Autriche) ou encore de la régularisation « à l’espagnole » des travailleurs migrants comme source d’accroissement considérable des cotisations sociales. Il semblerait en tout cas que l’échange de bonnes pratiques commence à porter ses fruits, à tout le moins pour fournir un registre de légitimation varié aux gouvernements soucieux de faire passer des réformes délicates auprès de l’opinion publique.
Ainsi, la campagne de communication sur le plan pour l’emploi des seniors lancé récemment par le gouvernement français puise à loisir dans les exemples européens comme autant d’arguments en sa faveur.

Il reste que la Commission affiche une préférence pour l’allongement du temps de travail comme instrument privilégié de la lutte contre le vieillissement. Cette « approche » a suscité de vives critiques de la part d’organismes sociaux et groupes d’actions européens, pour qui la clé du problème réside plus dans « l’évolution qualitative nécessaire des structures politiques, économiques et sociales ».

A son habitude, l’UE avance masquée sur le terrain glissant et assez indéterminé du « modèle social européen ». Il serait dommage qu’à force d’hésitations, elle ne réussisse pas, une fois de plus, à transformer un défi en opportunité.

Source : http://www.eurosduvillage.com

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