Les aspects positifs des populations âgées à venir

Les énormes changements dans la structure de la population par âge qu’entraîneraient un ralentissement ou un arrêt de la croissance démographique ne signifient pas forcément que les personnes âgées deviendront un fardeau pour la société. En fait, les politiques qui peuvent stimuler ces changements et rendre la société écologiquement plus viable et plus dynamique, sont les mêmes.

Les taux de natalité et de mortalité, dans les pays d’origine essentiellement européenne ainsi qu’au Japon, sont au niveau le plus bas de leur histoire. Si cette situation se maintient, ces pays vont inévitablement avoir des populations beaucoup plus âgées et dont l’effectif total va décliner. Cette perspective a donné naissance à toutes sortes de peurs : manque de main-d’œuvre et inflation par les salaires, pression trop grande sur les fonds publics, affaiblissement de la défense nationale, pénurie d’intellectuels, déclin de la « vigueur » nationale, voire même suicide de la race et extinction de la culture européenne.

La plus grande de ces peurs est celle liée à l’anticipation des coûts financiers supplémentaires – pour les retraites, les soins médicaux et les prestations médico-sociales – associés à des populations plus âgées, et à la crainte qu’il n’y ait pas assez de jeunes actifs pour les assumer par le biais des impôts. Mais si on peut s’attendre à ce que le fait de mettre en place un système de santé et de retraites approprié à une population plus âgée nécessite des réajustements de perspectives et des politiques sociales (notamment en ce qui concerne les soins médicaux et les impôts), les barrières financières s’opposant à de telles dispositions ne sont insurmontables dans aucun de ces pays. Que ces changements se produisent ou non est un autre problème, mais c’est plus un problème de priorités sociales et qu’un problème d’argent.

Est-ce que le vieillissement de la population est vraiment une chose dont on doit s’inquiéter ? Oui – mais pas autant que la majorité des gens semblent le croire et pas pour les raisons communément citées.

Commençons avec deux vérités pertinentes : premièrement, une population ne peut pas augmenter indéfiniment. Il y a des limites : aux ressources, à l’espace physique et à ce que l’on peut appeler « l’espace social. » Bien que ces limites puissent être repoussées en changeant notre comportement et notre façon d’utiliser notre environnement, nous arriverons à un point, même avec un comportement et une utilisation de l’environnement judicieux, au-delà duquel l’augmentation de la population entraînera forcément un déclin de la qualité de vie et finalement de la vie elle-même.
Deuxièmement, le changement de la structure par âges et le déclin imminent de la population auxquels nous assistons dans certains pays, proviennent de deux grands progrès humains : la possibilité de contrôler sa reproduction, grâce à laquelle il est maintenant possible d’arriver à ce que chaque enfant soit un enfant désiré, et la capacité de retarder la mort, qui a permis qu’une grande majorité des gens dans ces pays meurent aujourd’hui à un âge qui aurait encore été considéré comme extrêmement avancé il y a peu.

Le vieillissement de la population et son déclin à venir ne sont donc pas à déplorer. Ils indiquent que nous avons maintenant la capacité d’ajuster les effectifs de la population aux réalités, au caractère limité des ressources, de manière humaine et rationnelle, sans que cela ne nous soit imposé de manière cruelle par l’augmentation des taux de mortalité.

Qu’est-ce qui inquiète tant les Européens ?

Mais l’existence de ces limites n’est pas le seul argument en faveur de ces changements démographiques ; il y a également le fait que toutes les alternatives sont irréalistes, hors de propos, ou inefficaces. Si ceux que ces changements inquiètent veulent simplement une population plus jeune et une inversion de la baisse de la croissance démographique, les moyens spécifiquement démographiques d’atteindre cet objectif seraient de laisser la mortalité des personnes âgées augmenter et d’encourager l’immigration et la fécondité des jeunes. Rien de cela n’est réaliste.
Pour des raisons éthiques, l’abrègement de la vie des personnes âgées, par le choix du suicide ou de l’euthanasie, ne peut s’appliquer que dans les cas de personnes désemparées et souffrant de douleurs extrêmes et permanentes – et ces cas ne représentent heureusement qu’une très petite proportion du total, même chez les personnes très âgées. Le fait de permettre une plus grande mortalité des personnes âgées n’aurait qu’un effet minime sur la pyramide des âges.

La fécondité est un autre problème. La baisse des taux de fécondité est le principal facteur responsable du vieillissement de la population dans ces pays et seule une augmentation de ces taux permettrait de stopper ou d’inverser cette tendance. En fin de compte, bien sûr, si ces populations veulent éviter une disparition complète (dans un sens purement biologique), leurs taux de fécondité devront revenir au niveau de remplacement. Mais nous n’en sommes pas là. La principale inquiétude pour le moment concerne le moyen d’arriver à une structure par âge plus jeune, et les politiques destinées à augmenter la fécondité n’ont pas grand-chose sur quoi s’appuyer. Forcer les femmes à avoir des enfants dont elles ne veulent pas en les privant de l’accès à la contraception et à l’avortement est non seulement inacceptable autant d’un point de vue moral que d’un point de vue sanitaire, mais il est également peu probable que de telles mesures remportent un quelconque succès chez des gens qui contrôlent déjà largement leur fécondité. D’un autre côté, les efforts pour augmenter le nombre d’enfants que les gens veulent (ou au moins qu’ils sont disposés à avoir) ont jusqu’à présent été particulièrement inefficaces. Augmenter le taux de natalité dans un pays peut aller à l’encontre du but recherché, non seulement parce que cela augmenterait le nombre total de personnes sur la planète, mais aussi parce que ces enfants deviendraient eux-mêmes vieux un jour.

Qu’en est-il de l’immigration ? Mis à part les problèmes sociaux, économiques, émotionnels et politiques associés à l’immigration, les immigrants eux aussi vieillissent.

En bref, les approches spécifiquement démographiques des problèmes associés au vieillissement de la population et son déclin imminent ne fonctionneront pas. Si nous voulons profiter des avantages d’une faible mortalité, nous devons accepter que la structure par âge de la population soit désormais plus vieille que par le passé et que la fécondité ne dépasse pas le seuil de renouvellement. La ligne de conduite la plus prudente est donc d’entreprendre le nécessaire à la fois pour s’adapter à ces conditions et pour concrétiser les avantages qui en découlent.

S’adapter et tirer avantage d’une population plus âgée et plus restreinte

Qu’est-ce que cette approche prudente entraînerait ? Il faut tout d’abord reconnaître que les besoins des personnes âgées ne sont pas si éloignés de ceux du reste de la population. Au final, une population plus vieille nous obligera à trouver des moyens de permettre aux personnes âgées de s’occuper d’elles-mêmes plus efficacement, de vivre dignement et dans un confort raisonnable et d’être des membres respectés et actifs de la société. Nous pouvons commencer à nous rapprocher de ces objectifs à long terme en nous concentrant sur six objectifs intermédiaires, tous liés dans une certaine mesure :
Une moins grande utilisation des voitures .Il est important de réduire la dépendance aux véhicules motorisés non seulement à cause des dégâts sur l’environnement et la santé provoqués par les voitures, mais également parce qu’un usage intensif de l’automobile nécessite de si grosses dépenses publiques que cela limite les fonds disponibles pour des usages plus utiles socialement et encourage une disposition des villes à la densité extrêmement faible – une disposition qui augmente fortement les coûts d’installation et de maintenance des services urbains, et qui, en allant à l’encontre de la mise en place de transports publics pratiques, ou de magasins et d’autres aménagements accessibles à pied, rend plus difficile plus difficile la participation des personnes âgées à la communauté et à leur propre autonomie.

Une utilisation abusive de la voiture, dans la mesure où elle réduit le contact des gens avec l’environnement physique, social, et humain, va à l’encontre du développement de facultés telles que la confiance en soit ou l’autodiscipline et la capacité (limitée quand on est isolé dans le cocon de sa voiture) d’aborder sans crainte ou anxiété des éléments du paysage social comme la nouveauté, les étrangers, la diversité humaine et les modes de vie différents.

Des villes plus vivables. C’est étroitement lié à la réduction de l’utilisation des voitures. Comme l’a écrit une fois un Britannique visitant le Midwest américain : Detroit évoque deux choses : les voitures et les morts violentes… Mais la ville ne fait pas que fabriquer des voitures ; elle a été également fabriquée par les voitures. Le cœur de la ville est dominé par un centre commercial que l’on ne peut atteindre qu’en automobile. Le « Renaissance Centre » est entouré d’un réseau de chemins d’accès qui amènent les voitures directement dans d’immenses parkings souterrains. Dehors, les vieilles rues commerçantes sont désertées et les immeubles en ruine… Ralph Slovenko, un habitant du quartier, a d’ailleurs déclaré : « Il n’y a plus rien dans les rues à part des voitures et des voyous. Moins il y a de gens dans les rues, plus les gens deviennent des cibles faciles pour les criminels. » [W. Ellwood, « Car Chaos, » New Internationalist N°195, 1989]

Au niveau des aménagements et du fonctionnement des villes, on compte parmi les besoins des personnes âgées :

Des transports publics disponibles, abordables, sûrs et propres ;
Un éloignement des désagréments physiques, visuels, auditifs et neurologiques causés par les camions et les voitures
Un plan d’implantation urbain à densité moyenne (mais pas trop élevée), pour permettre une plus grande efficacité environnementale (et économique) des prestations de services et garantir la mobilité et le contact avec les autres ;
Des parcs, des promenades et des lieux de rencontre informels facilement accessibles ;
Des magasins et des restaurants à échelle humaine et facilement accessibles ;
De la diversité dans le type de logements et les aménagements de vie ;

Moins de spécialisations géographiques et fonctionnelles par âge et par activités économiques. Pour rester des membres actifs de la société, les gens plus âgés ont besoin de contacts fréquents et informels avec les autres. Les enfants et les jeunes, de leur côté, ont besoin de contacts avec les personnes âgées pour apprendre à ne pas en avoir peur, à connaître leurs besoins et leurs opinions, et pour savoir à quoi s’attendre quand leurs parents, puis eux-mêmes, atteindront ce stade de la vie.

Des services sociaux spécifiquement adaptés aux besoins des personnes âgées et des handicapés. Cela va de l’assistance à domicile pour les soins personnels et des services de livraisons, aux services de garde pour alléger occasionnellement la tâche des gens qui s’occupent des personnes âgées.

Certains aménagements qui ne profiteraient pas seulement aux personnes âgées ou aux handicapés mais aussi à d’autres secteurs de la société, tels que :

des services de conseils et de santé sans rendez-vous ;
des loisirs bon marché ;
des bibliothèques ;
des espaces publics propres et sûrs ;
des toilettes publiques propres ;
des activités publiques (comme des concerts en plein air ou des événements sportifs gratuits le soir).

Et on pourrait ajouter également cette grande contribution anglaise à la civilisation : un pub de quartier bien tenu.
Cela permettrait aux gens de faire un peu d’exercice, les pousserait à se rendre dans les lieux publics, mélangerait ensemble différents secteurs de la population, introduirait la variété qui est tout le sel de la vie. Cela pourrait également renforcer l’initiative et l’indépendance tout en créant un fort sentiment de communauté. Tout cela peut enrichir la vie des personnes âgées et leur permettre d’affronter les exigences de la vie dans un meilleur état d’esprit, et réduire la probabilité qu’ils ne s’enferment dans une logique de désespoir engendrée par l’altération de leur santé et la perte de leur fonction sociale.
Une moins grande importance de l’âge comme critère de participation dans la société. Les jeunes peuvent acquérir de nombreuses connaissances auprès des anciens, et s’enrichir de leur expérience – particulièrement peut-être en ce qui concerne les relations interpersonnelles, l’adaptation aux changements de rôles (comme par exemple la retraite ou le veuvage), la perte des facultés mentales et physiques, le chômage et le deuil. Et, bien sûr, les gens plus âgés ont beaucoup à apprendre des plus jeunes (et pas seulement en ce qui concerne les ordinateurs).

Une distribution plus équitable de la richesse et des revenus. Avec leur pouvoir économique supérieur, les riches sont mieux placés pour diriger les énergies d’une société et la répartition des ressources d’une manière qui les avantage directement. Il n’y a rien de forcément intentionnel ou malveillant là-dedans. Mais il faut beaucoup de pauvres pour consommer autant que les riches – avec leurs maisons de vacance, leur deuxième voiture, leurs voyages, et leur niveau de consommation total plus élevé.

Grâce à la publicité de masse, les riches orientent les tendances de consommation du reste de la société. Il en résulte une augmentation de la consommation des ressources (et l’augmentation des déchets), des niveaux d’endettement souvent indésirables et une plus grande insistance sur le plaisir immédiat ou à court terme, par opposition aux économies, à la gestion des ressources et à la planification du futur.

Ce modèle de consommation basé sur des inégalités marquées de revenus et de richesses encourage la propriété privée : l’idée que pour profiter d’une chose – une plage, le bord d’un lac, un appareil, la campagne – il faut absolument la posséder. Cela limite l’habitude de partager qui, si elle est importante pour toute société équilibrée, devient d’autant plus nécessaire quand les membres de cette société vieillissent. L’utilisation de nombreuses ressources essentielles à la santé émotionnelle et physique de la société dans son ensemble, comme l’accès à la nature, aux grands espaces, ou même à la solitude, est confisquée par une minorité.

Ce n’est pas un problème de pauvreté absolue mais de privations relatives. Dans une société industrielle à la consommation élevée et avec une répartition inégale des richesses, on peut à la fois se sentir privé de plus de choses, à cause de la publicité et des modèles de consommation fixés par les gens aisés, et être réellement privé de plus de choses, du fait de tout ce que les gens riches peuvent s’approprier pour leur usage personnel. Des inégalités aussi criantes ont également un coût psychologique : les comparaisons désavantageuses, le mécontentement à l’égard ce que l’on a, la frustration de ne pas être capable de faire « mieux ». Dans de telles conditions, les gens ayant de bas revenus peuvent trop facilement perdre le respect d’eux-mêmes et se sentir inutiles et dans une situation d’échec – ce ne sont pas les conditions idéales pour s’en sortir ou pour du moins tenter sa chance.

Dans beaucoup de pays avec une faible mortalité et un faible taux de fécondité, le vieillissement de la population est déjà en marche ou le sera probablement d’ici une à deux générations. Mais il est peu probable que les conditions de vie d’une société soient notablement affectées simplement par le nombre de personnes âgées ou leur proportion dans la population. La vieillesse sera un problème si les conditions sociales et environnementales ne répondent pas aux besoins de toutes les classes d’âge (pour les générations futures autant pour que celles d’aujourd’hui). Pour ces raisons, les politiques sociales sont d’une importance cruciale. Répondre aux besoins d’une société implique de prêter attention aux besoins spécifiques des différentes classes d’âge, y compris à ceux des personnes âgées. Mais les menaces pour la qualité de vie de ces pays semblent pour l’instant venir davantage de phénomènes non démographiques que de phénomènes démographiques ; et, en ce qui concerne les phénomènes démographiques, les inquiétudes portent plus sur des augmentations passées et les fluctuations des taux annuels de la natalité que sur la réelle perspective d’un déclin numérique ou la tendance au vieillissement de la population.

Lincoln H. Day est retraité du département de démographie de l’Université Nationale d’Australie, co-auteur (avec Alice Taylor Day) de Too Many Americans (1964), et auteur de The future of Low-Birthrate Populations (1992).

Source : L’Etat de la planète www.delaplante.org

Benoit Lambert
e.org

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