Age de la retraite : les pays doivent absolument la reculer

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Le vieillissement démographique constitue un véritable défi pour les pays de l’OCDE. En particulier, comment les pays pourront-ils faire face à leurs engagements au titre des pensions ? Les retraites précoces font peser une charge qui n’est pas tenable sur les finances publiques. Il n’existe pas de solution facile, mais un report des départs à la retraite pourrait s’avérer utile.

Un départ à la retraite anticipée est aujourd’hui si courant dans les pays de l’OCDE que c’est presque devenu un objectif professionnel. Et il y a même des arguments à avancer pour justifier ce comportement sur le plan économique : les retraités dépensent plutôt que d’épargner et ils sont une source importante de revenu pour des secteurs comme le tourisme. On peut aussi avancer que les départs précoces à la retraite libèrent des emplois pour les jeunes et stimulent la productivité. Pour beaucoup de travailleurs, la retraite est un droit durement mérité et plus tôt ils partiront, mieux ce sera. En vérité, cela fait des années que certains futurologues nous annoncent que les retraites précoces deviendront la norme et que, grâce aux technologies qui permettent d’économiser la main-d’oeuvre, on consacrera bientôt plus de sa vie aux loisirs et moins au travail.

Tout cela paraît très bien mais la réalité est différente. Une retraite anticipée peut être un objectif individuel séduisant, mais c’est un objectif coûteux du point de vue de la collectivité. En ce qui concerne les finances publiques, c’est un objectif qui n’est pas tenable, avant tout parce qu’un plus grand nombre de travailleurs partent à la retraite précocement et vivent plus longtemps. Par conséquent, un plus grand nombre de retraités dépendent de la richesse créée par ceux qui travaillent. Les perspectives sont préoccupantes. Au cours des 50 prochaines années, les faibles taux de fécondité et l’allongement de l’espérance de vie dans les pays de l’OCDE entraîneront, en gros, un doublement du taux de dépendance économique de la population âgée. Les dépenses des régimes publics de pension, qui financent entre

30 % et 80 % des retraites dans les pays de l’OCDE, vont augmenter, en moyenne, de plus de trois points de pourcentage du PIB et de non moins de huit points de pourcentage dans certains pays. La pression sera telle sur l’équilibre financier des régimes de pension qu’on peut craindre que les actifs d’aujourd’hui ne touchent pas les pensions auxquelles ils s’attendent ou auxquelles ils estiment avoir droit.

Il faut donc agir. Mais chercher simplement à abaisser la générosité (et, par conséquent, le coût) des régimes publics de pension, ou essayer de faire jouer un plus grand rôle aux régimes privés de retraite par capitalisation, bien que ce soient des mesures nécessaires, risque de ne pas être suffisant face au défi que représente l’alourdissement du poids des inactifs. Après avoir, pendant des années, anticipé l’âge de départ à la retraite pour éviter les licenciements et endiguer la montée du chômage, de nombreux gouvernements songent, aujourd’hui, à essayer de persuader les travailleurs de rester plus longtemps en activité. Le raisonnement est le suivant : si la population est en meilleure santé, les emplois sont physiquement moins pénibles, et le chômage est en baisse, alors le taux d’activité devrait augmenter. De fait, augmenter le taux d’activité des personnes âgées de 55 à 64 ans est l’un des grands objectifs de l’Union européenne dans le domaine social en vertu des Traités de Lisbonne et d’Amsterdam.

Du point de vue économique, le raisonnement se tient. Si les ressources supplémentaires en

main-d’oeuvre rendues disponibles par un report des départs à la retraite sont mises au service de l’activité, alors, théoriquement, le niveau du PIB augmentera, d’où un accroissement des ressources disponibles pour la consommation. Naturellement, c’est une vue simpliste des choses : qu’un plus grand nombre de personnes âgées travaillent ne suffira pas à améliorer la productivité. De fait, certains soutiennent même que le niveau du PIB pourrait baisser, les départs à la retraite anticipée incitant à travailler dur et à épargner davantage, ce qui dynamise la productivité, tandis qu’un report des départs à la retraite pourrait avoir un effet démotivant et nuire à la productivité. Cependant, on peut considérer que ces effets négatifs sont faibles, de sorte qu’au total un report des départs à la retraite accroîtrait le PIB à long terme. Il est sûr que les actifs paient plus d’impôts sur le revenu et de cotisations de sécurité sociale que les retraités. Par conséquent, un prolongement de l’activité dégagerait des financements pour les pensions. En outre, la pression serait moindre sur l’équilibre financier des régimes dans la mesure où les personnes qui continuent de travailler perçoivent leur retraite plus tard. En outre, le fait de travailler plus longtemps aide à éviter la pauvreté.

Et cependant, cela fait des décennies que les travailleurs partent de plus en plus jeunes à la retraite. Ils y ont été incités par des régimes généreux qui leur assurent des pensions nettes élevées, outre d’autres avantages sociaux, et aussi par l’attrait des voyages et des loisirs. Mais ils y ont aussi été poussés par des employeurs désireux d’abaisser leurs coûts (il est souvent plus facile de se séparer de travailleurs âgés, surtout en période de baisse d’activité) ou de stimuler la productivité en remplaçant les travailleurs âgés par des jeunes. Indépendamment des considérations de coût, il y a un problème d’équité qui se pose : s’il est vrai que de nombreux travailleurs ont la possibilité de prendre une retraite anticipée, par contre, souvent le marché du travail ne permet pas une retraite retardée. Des personnes qui sont en bonne santé peuvent préférer travailler plus longtemps plutôt que de cesser leur activité ou de percevoir une petite retraite. Tout le monde n’a pas envie d’être un jeune retraité. De même, des entreprises peuvent souhaiter conserver leurs travailleurs âgés pour profiter de leur expérience, mais peuvent en être empêchées par la rigidité des règles du marché du travail qui, finalement, jouent contre les travailleurs. Il se peut aussi que les charges sociales qui frappent le travail soient trop lourdes pour les employeurs ou que les travailleurs âgés n’aient pas la possibilité de travailler à temps partiel. Si les départs à la retraite sont retardés, il faudra que la situation du marché du travail soit améliorée sur différents points. Sinon, comme certains économistes le prédisent, un report des départs à la retraite pourrait simplement signifier un accroissement du chômage des travailleurs âgés.

Il n’en reste pas moins que le message essentiel demeure : les départs à la retraite précoces font peser une charge qui n’est pas tenable sur les régimes de pension. Les gouvernements doivent repenser leurs politiques concernant l’âge de départ à la retraite. Il peut être intéressant, à cet égard, de comparer l’âge effectif de départ à la retraite et le taux d’activité des travailleurs âgés d’un pays à l’autre.

L’âge ouvrant droit à une pension de régime public est actuellement fixé, dans la plupart des pays de l’OCDE, à 65 ans. Font exception la Corée et la France, où l’âge officiel de la retraite a été fixé à

60 ans, et la Norvège, où il est de 67 ans. Plusieurs pays ont mis en place des systèmes de départ anticipé à la retraite qui permettent aux travailleurs de prendre leur retraite de deux à cinq ans avant l’âge normal. Et, dans un certain nombre de pays, les conditions d’admission au bénéfice des pensions d’invalidité et des indemnités de chômage pour les travailleurs âgés sont plutôt généreuses. Les indemnisations prévues par les régimes professionnels de cessation anticipée d’activité permettent aussi à certains travailleurs âgés de faire le saut sans que cela ait guère, pour eux, de conséquences négatives sur un plan financier.

Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que l’âge moyen effectif de départ à la retraite soit souvent de trois à cinq ans inférieur à l’âge officiel. Il n’y a qu’aux États-Unis où l’âge moyen effectif de départ à la retraite coïncide avec l’âge actuellement fixé, officiellement, pour le départ à la retraite (en l’occurrence, 65 ans). Malgré tout, les États-Unis sont en train de relever légèrement l’âge normal de départ à la retraite à 67 ans et débattent sur les mérites d’un départ à la retraite différé. En Corée et au Japon, les travailleurs prennent leur retraite en moyenne respectivement à 67 et 69 ans, soit sept et quatre ans après l’âge officiel. Mais ce sont là des exceptions. En Europe, moins d’un homme sur deux, âgé de 55 à 64 ans, travaille (voir tableau).

L’espérance de vie à l’âge moyen effectif de départ à la retraite peut être de 18 à 20 ans, soit une espérance de vie accrue d’un tiers environ par rapport à ce qu’elle était il y a 30 ans (voir graphique, p. 38). Et l’on s’attend à ce qu’elle augmente encore.

Retarder le départ à la retraite est apparemment la seule option envisageable. En Allemagne et en Australie, on a entrepris d’aligner progressivement l’âge normal de départ à la retraite des femmes sur celui des hommes et, en Corée, aux États-Unis, en Hongrie, en Italie et au Japon, l’âge normal de départ à la retraite est progressivement relevé, pour les hommes comme pour les femmes. Les systèmes de pension sont également revus pour que le niveau de la pension soit abaissé en conséquence en cas de départ anticipé à la retraite. Cela paraît juste – les experts parlent de neutralité actuarielle – dans la mesure où il y a alors un lien plus étroit entre le montant des prestations et les montants cotisés. L’Allemagne, l’Australie, les États-Unis, la Finlande, l’Islande, l’Italie, la Norvège, les Pays-Bas et la Suède s’orientent tous dans cette direction.

Pour décourager les départs anticipés à la retraite, on peut aussi abaisser directement le niveau des pensions – comme en Allemagne – ou allonger la durée de cotisation exigée pour pouvoir prétendre à une pension à taux plein – c’est l’approche de la France et de la Hongrie. Par ailleurs, certains pays durcissent les conditions d’accès aux pensions d’invalidité et aux indemnités de chômage (Allemagne, Finlande, Pays-Bas, Royaume-Uni).

Cela étant, il faut éviter qu’un report du départ à la retraite ne se traduise par une augmentation du chômage pour les personnes âgées. Les pays se préoccupent actuellement d’améliorer les perspectives d’emploi pour les travailleurs âgés en interdisant la discrimination fondée sur l’âge (Australie, Pays-Bas, Royaume-Uni) ou en accordant des subventions salariales pour l’emploi de travailleurs âgés (Allemagne, Corée, France).

On ne parviendra à augmenter l’âge effectif de départ à la retraite qu’en évitant les mécanismes incitatifs qui poussent les travailleurs à prendre une retraite anticipée. L’OCDE a identifié deux indicateurs qui permettent de mesurer les effets incitatifs à l’oeuvre dans les régimes publics de pension. Il y a, premièrement, le taux de remplacement – ce que représente la pension en pourcentage des revenus d’activité avant le départ à la retraite. Plus le taux de remplacement est élevé, plus les travailleurs sont incités à prendre leur retraite. Et il y a, deuxièmement, la variation du patrimoine net de retraite liée à une année supplémentaire d’activité. L’idée, ici, est que les travailleurs seront incités à prendre une retraite précoce si le fait de travailler une année de plus implique, pour eux, de devoir payer des cotisations supplémentaires sans que cela augmente, ou très peu, les prestations de pension auxquelles ils auront droit plus tard. En appliquant cet indicateur à 15 pays, on s’aperçoit que le régime normal de pension de vieillesse pousse effectivement les travailleurs à prendre une retraite précoce, toutefois pas avant 60 ans. En fait, les cessations anticipées d’activité ne sont généralement pas autorisées avant 60 ans. Les seules exceptions à cet égard sont l’Italie (où les travailleurs peuvent prendre leur retraite dès 57 ans et où le taux de remplacement est de plus de 50 %) et l’Australie (où les travailleurs peuvent faire des retraits sur leur épargne obligatoire à partir de 55 ans).

Mais il y a d’autres dispositifs en plus des régimes normaux de pension. Dans plusieurs pays, comme en Allemagne, en Finlande, en France, en Norvège et aux Pays-Bas, les pensions d’invalidité et les indemnités de chômage peuvent remplir la même fonction que des prestations de cessation anticipée d’activité. Les travailleurs sont aussi incités à prendre leur retraite après 60 ans, mais avant 65 ans, lorsque les pensions qui leur sont offertes leur assurent un taux de remplacement relativement élevé. Parfois, comme au Canada et au Royaume-Uni, les régimes professionnels complémentaires incitent aussi fortement les travailleurs à interrompre précocement leur activité – l’âge de départ à la retraite dans certaines entreprises qui se sont dotées de leur propre régime privé de pension a ainsi été fixé à 60 ans, et non pas 65 ans qui est l’âge normal de départ à la retraite au Royaume-Uni.

À l’évidence, toute mesure destinée à repousser l’âge de départ à la retraite doit s’accompagner de mesures destinées à accroître tant l’offre que la demande de main-d’oeuvre âgée. Éliminer les mécanismes incitatifs qui jouent en faveur des cessations anticipées d’activité aiderait à résoudre le problème de l’offre, car les travailleurs seraient alors moins nombreux à partir précocement. Mais bien évidemment, il ne suffit pas que l’offre de travail augmente, il faut aussi que la demande corresponde. En pratique, cela ne devrait pas poser trop de problème, puisque les pays dont le taux d’activité est élevé tendent aussi à connaître un faible taux de chômage. Néanmoins, des mesures politiques pourraient aider à faire coïncider l’offre et la demande. Accroître la flexibilité du marché du travail en permettant que les salaires reflètent mieux la productivité du travail augmenterait la demande pour les travailleurs âgés. Une protection de l’emploi trop rigide réduirait aussi les chances pour ces travailleurs de trouver un emploi. Un effort de requalification de la main-d’oeuvre âgée agirait donc à la fois sur l’offre et sur la demande, et l’effort serait mieux rentabilisé si les travailleurs restaient en activité plus longtemps.

Le vieillissement démographique réduira notablement l’offre relative de main-d’oeuvre au cours des prochaines décennies, et les gouvernements ne doivent pas accentuer encore cette évolution en incitant à des retraits précoces du marché du travail et en pénalisant ceux qui continuent à travailler. Éliminer ces distorsions encouragerait les travailleurs à travailler plus longtemps et à prendre leur retraite plus tard, pour que l’âge de départ à la retraite et les revenus reflètent l’allongement de l’espérance de vie. Les travailleurs ont le droit de partir à la retraite en ayant l’assurance de percevoir une retraite décente. Or les pressions qui s’exercent sur les régimes de pension sont telles que si l’on n’agit pas, ce droit à une retraite sûre et décente sera menacé.

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