Agrica, le groupe de protection sociale complémentaire du monde agricole organisait la troisième édition de son colloque annuel à Paris aux Salons de l’Aveyron. Le thème retenu cette année ? La génération Mai 68 arrive à la retraite. En organisant ce nouveau colloque, Agrica a souhaité poursuivre sa réflexion sur la véritable question de société que pose le vieillissement : comment la génération qui a défendu et continue à porter les valeurs de la jeunesse se comporte-t-elle à l’approche de la retraite ?
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Trois tables rondes et neuf analystes de renom parmi lesquels, psychologues, journalistes et sociologues, devaient permettre d’y voir un peu plus clair sur les conséquences d’un phénomène qui doit débuter cette année pour se poursuivre jusqu’en 2010 et qui va concerner près de 800 000 personnes par an. L’occasion d’un débat animé, orchestré de main de maître par Serge Moati.
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Agrica au coeur des grands enjeux de la retraite et du vieillissement « Tant par sa vocation de protection sociale que par sa qualité d’intervenant majeur du secteur de la retraite et de la prévoyance, AGRICA est au coeur des grands enjeux de la retraite et du vieillissement » déclare Hervé Bachellerie, directeur général adjoint d’Agrica en préambule de ce colloque. « C’est pourquoi cette année, nous vous proposons de réfléchir sur l’arrivée à la retraite de la génération Mai 68. Après avoir fait une révolution, au moins dans les idées, cette génération s’est ensuite totalement insérée dans la société pour tenir encore aujourd’hui, les postes de responsabilités. En arrivant à l’âge de la retraite, comment va-t-elle se comporter, quels seront ses besoins et ses envies ? Va-t-elle vers une nouvelle révolution par rapport à ses aînés ? Après avoir fait du jeunisme un véritable culte, va-t-elle faire de la maturité un nouvel Eden ? C’est sur l’ensemble de ces questions qu’ Agrica souhaite porter la réflexion, afin de se préparer au mieux, à l’accompagnement de cette génération. »
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Génération Mai 68 : une génération intermédiaire et privilégiée Leurs parents ont connu la guerre, leurs enfants vivent la crise Sur l’écran géant, des images de Mai 68 montrent les visages d’une jeunesse triomphante. « Je me souviens, de ces années-là, retrace Serge Moati, avec un taux de croissance de 5 à 6 points l’an, le plein emploi et la hausse continue et forte du pouvoir d’achat. On avait relevé en une décennie les ruines de la guerre, photographié la face cachée de la lune, envoyé les hommes dans l’espace, et moi, et moi… et moi je travaillais depuis que j’avais 17 ans, une petite annonce trouvée dans un journal, et hop ! On arrivait à travailler. C’était préhistorique, non c’était en 1968… on disait « soyons réalistes, demandons l’impossible ! Leurs parents ont connu la guerre, leurs enfants vivent la crise. Ils sont intermédiaires. Retraités, quel pourrait être le rôle, l’utilité, la vie, de ceux qui pensaient que sous les pavés, il y avait toujours… la plage !!! » poursuit avec sa verve habituelle l’animateur de France Télévision.
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Une génération qui a su prendre le pouvoir en imposant ses propres valeurs « Ne commettons pas l’erreur de penser que la génération du baby boom ce sont les ; étudiants » affirme Jean-François Sirinelli, agrégé d’histoire et professeur d’histoire contemporaine à l’I.E.P. « Seuls 10 % de cette classe d’âge ont le baccalauréat. Mais s’ils ne sont pas tous étudiants ou contestataires, ils sont nombreux et sont les mutants d’une France qui change à toute vitesse. A cela, trois raisons : la prospérité, au coeur des 30 glorieuses, la paix qui règne pour la première fois en France depuis un siècle et une culture de masse portée par l’image et le son et imposée par la jeunesse au reste de la société.
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Mai 68 est l’accélérateur d’un processus qui a fait éclater les valeurs des générations précédentes. Des valeurs dures, celles d’une France rurale où la vie est difficile et où il faut se prémunir contre l’accident ou la maladie et qui ne sont plus adaptées en 1960, car en 15 ans, le niveau de vie a doublé, le pays s’est rajeuni. »
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Selon Philippe Rucheton, économiste et sociologue du Centre de Communication Avancé, cette mutation s’exprime essentiellement « à travers de nouveaux codes, un mode de vie beaucoup plus individualiste et moderniste, lié à des valeurs de progrès, d’innovation et de changement. Jeune, cette génération veut le rester, et elle fera du jeunisme un véritable culte.
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Elle ne vivra, ni ne vieillira sur le même modèle ». Pour Philippe Hofman, psychologue et sociologue, « de Gaulle incarnait à lui seul le Pater Familias et il fallait fustiger la figure du père ». C’est cela qui a produit des effets extraordinaires sur cette génération et sur les générations futures. Parce qu’il y a eu une sorte de renversement, où la figure du père pouvait être bafouée ou attaquée.
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La génération Mai 68 et les générations qui suivent…
La génération Mai 68 s’est rebellée contre la hiérarchie, elle s’est battue pour avoir le pouvoir et entend le garder. C’est cette relation « au pouvoir » qui est à l’origine du conflit latent qui émerge avec la jeunesse actuelle. « Aujourd’hui, si vous avez chez vous des jeunes de 28/29 ans, ne vous inquiétez pas, c’est normal ! Et en principe ils ne devraient pas tarder à attaquer un nouveau cycle d’études. Et ça peut durer encore ! » lance non sans une certaine ironie Philippe Hofman. « Les enfants des baby boomers font face à 33 % de taux de chômage dans les deux ans de leur sortie d’étude contre 4 % en 1968. La différence de salaire entre jeunes de trente ans et cinquantenaires est passée de 15 % à 45 % sur la même période » précise Louis Chauvel, sociologue et professeur à l’IEP. « On est les enfants des fous. Bien sûr qu’on est sages ! La folie, c’était leur luxe… » témoignait un trentenaire dans un article récemment consacré par le journal Le Monde à la nouvelle génération de cadres. Et Louis Chauvel de poursuivre « Il faut aussi se poser la question des conséquences à long terme pour les équilibres de la protection sociale, d’avoir un système qui ne fait pas de place à la génération qui suit. »
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La génération Mai 68, voit-elle sa retraite comme… une seconde vie active ?
« Jeune oui, retraité non ! » Tel pourrait être le nouveau slogan d’une génération grisonnante qui refuse à la fois de vieillir et de se retirer d’une société dans laquelle elle a le sentiment de s’être fortement impliquée. Philippe Rucheton remarque des comportements individualistes très forts. Trois grandes tendances se dessinent. La première, « les toujours djeun’s », représente environ un quart de la génération Mai 68. Ils rejettent le mot « retraite ». Privilégiant une attitude égocentrique, ayant perdu foi dans les institutions, ils essayeront de fonctionner en réseau d’intérêt ou d’affinités pour trouver des gens qui leur ressemblent. Leur tendance est d ’essayer de profiter de la vie au jour le jour. Refusant de vieillir, ils préfèrent occulter que prévoir et n’ont souvent pas préparé leur transmission d’entreprise ou de commerce…
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« Les bons sens », pour 37 %, caractérisent la seconde tendance. Ils ont un mode de vie moins individualiste. Ils cherchent l’équilibre entre vie professionnelle et vie privée et visent donc les mêmes objectifs que les jeunes. Modernistes, ouverts aux idées et aux technologies nouvelles, ils en rajouteraient même… pour rester jeunes. Mais ils ressemblent à ceux de la génération précédente, concernant le regard porté sur la retraite. Pour eux, la retraite arrivera naturellement.
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La dernière tendance, « les évolutifs » pour 37 % également, ressemblent aux parisianistes (bobos) décrits il y a quelques années. Ce qu’ils veulent c’est s’impliquer, mais pour que les choses changent. Ils souhaitent une retraite active, avec leur recherche de sens, d’authenticité, de quête personnelle…
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Des « seniors » qui attendent la retraite mais qui ne veulent pas du « retrait »
« Etre retraité, c’est être en retrait et c’est bien ce qu’ils ne veulent pas » commente Serge Guérin, économiste et sociologue. Leur caractéristique est d’avoir du temps libre ou libéré grâce aux préretraites et pour la première fois dans l’histoire, des revenus supérieurs aux autres si on inclut ceux du patrimoine. En bonne santé, 2 % seulement souffrent d’une perte d’autonomie, les seniors de 60 ans sont aussi bien portants que les jeunes de 40 ans. « La génération de mai 68 durant sa croissance, entre l’âge de 4 ans et de 20 ans, s’est constituée un capital santé extraordinaire » explique Bruno Corman, Docteur es Sciences en physiologie et biophysique.
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« Paradoxe ? Cette génération encore jeune et qui dit vouloir rester active est celle qui a le plus protesté contre la réforme des retraites et l’allongement de la durée du travail », précise Jean-François Sirinelli, car « cette seconde vie, est perçue comme un Eldorado par une génération « Robinson » ou « Narcisse », qui voit la retraite comme une sorte d’île plutôt agréable ».
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Le rôle des femmes après 1968
Les femmes de cette génération ont des itinéraires de vie très variés. Elisabeth Weissman, ; journaliste, auteur de « Elles croyaient qu’elles ne vieilliraient jamais », explique qu’elles « ont donné une nouvelle impulsion à ce qui était en germe, le mouvement d’émancipation et de libération des femmes ». Elles font partie de la génération de rupture d’avec le modèle de leurs mères. Elles arrivent à l’âge de la retraite en femmes affranchies, libérées des traditions et des préjugés. Elles ont cependant voué un véritable culte à la jeunesse et commencent à découvrir à 55 ans, peu après la ménopause que leur « Moi est en débris ». C’est une étape difficile parce que les femmes n’y sont pas préparées. Elles savent que dans les 30 ans à venir, il reste peu de bonnes années et elles refusent le modèle de la « grand-mère ». Elles sont dans la « grand maternité » du désir et non pas du devoir. Elles courent après le temps de la disponibilité à elles-mêmes, elles s’affranchissent du désir des autres, pour questionner le leur.
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D’autres femmes ont une attitude différente nous expliquent Philippe Hofman et la socioanthropologue, Martine Segalen qui a étudié le rôle de cette génération dans le renforcement des solidarités familiales.
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« Grand-père et Grand-mère ont fait mai 68 ! », vers une nouvelle identité grand parentale ?
« Dans l’ouvrage que j’ai publié avec Claudine Attias-Donfus, « Grand parents, la famille à travers les générations » dit Martine Segalen, « nous avons été un peu les découvreurs de ces retraités peu aimés par la sociologie qui ne nous parlait des « vieux que sous l’angle de la dépendance ou de leur coût. Notre étude qui portait sur 3 générations nous a en effet montré que la solidarité familiale est très importante. Elle a révélé des femmes et des hommes qui ont été gâtés et qui aujourd’hui aident beaucoup leurs enfants tout en continuant à soutenir de manière importante leurs parents. La « grand parentalité » ne les a pas transformés en personnes âgées, puisque leurs propres parents sont encore en vie. De ce fait, le rôle de la personne âgée repose encore sur les épaules de la génération précédente. Les grands-pères « soixante huitards » qui semblent ne pas vouloir lâcher les manettes du pouvoir et du travail sont aussi des grands-pères très investis. De façon générale, l’investissement des grands parents est massif et les solidarités familiales jouent à plein, même dans les familles recomposées. L’enfant devient central car il est celui qui crée la lignée, dans la mesure où de nombreux de couples se défont ou que les jeunes se marient moins.»
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Nouvelles approches et organisations sociales de la retraite Louis Chauvel milite pour une approche globale : « le vieillissement, à 70 – 80 ou 120 ans, il arrive un jour ou l’autre, et l’organisation sociale actuelle ne permet pas d’y faire face. Le long terme, cela n’est pas prévu. Nous devons construire cette organisation sociale qui le permette. On a une vision très individualiste, individualisante des familles ou des solidarités familiales, mais les problèmes doivent être abordés en profondeur, par rapport à une dynamique sociale, dans une société française qui stagne économiquement ! » Par ailleurs il explique que la génération 68 a bénéficié de l’expansion de la classe moyenne qui a connu son apogée. Les générations qui entrent dans le monde du travail plus tard, voient leurs diplômes considérablement dévalorisés. « Nous programmons, aujourd’hui même, pour 2020 de nouveaux « vieux » au minimum vieillesse, une nouvelle société française marquée par un éclatement ou une disparition progressive des catégories intermédiaires, et des inégalités nouvelles du 3ème et du 4ème âge. C’est une réelle nouvelle pauvreté qui se profile. Cette question là, il faut l’anticiper. » Et Serge Guérin de compléter, « en France nous avons 4 fois moins d’auxiliaires de vie par individu qu’en Hollande par exemple ou dans d’autres pays européens. Nos auxiliaires de vie, pour 52 % n’ont aucune formation et les salaires sont au niveau du SMIC. Il faut prendre conscience que les enjeux sont énormes, y compris en terme de dynamique économique, parce qu’encore une fois, ce sont des millions de nouveaux emplois qui pourront être créés ». Serge Guérin évoque de nombreuses approches nouvelles, comme par exemple des maisons
de vie commune, mais qui demandent des moyens et le développement d’emplois de proximité et de services.
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« Agrica devra répondre à toute cette diversité »
François Heyman, Président d’Agrica conclut dans ces termes « Il y a un lien de cause à effet direct entre 1968 et la généralisation de la retraite complémentaire et le renforcement du paritarisme dont Agrica est un enfant légitime. Cependant, je dois faire le constat aujourd’hui, même s’il est délicat de généraliser, que la génération de mai 68 qui arrive à la retraite est souvent plus réaliste que la génération précédente qui n’a connu que des progressions en matière de retraite. La génération Mai 68 demande à comprendre et à ; être informée mais elle admet ensuite que la roue tourne et que le bonheur reste à prendre au jour le jour. Et cela aura forcément un impact sur le type de protection sociale des futurs retraités.
L’individualisme s’est développé et cela pour toutes les générations. Comment demander alors, à la génération suivante, dans laquelle une personne sur quatre est au chômage et qui ne connaît que la précarité, de faire survivre un régime par répartition solidaire ? Cela reste une question cruciale pour une protection sociale solidaire. Il était donc assez naturel, bien avant que ce thème ne devienne à la mode, qu’Agrica organise ce colloque. Je retiens de ce débat qu’il y a plusieurs comportements et qu’Agrica devra répondre à toute cette diversité ».
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A propos d’AGRICA
AGRICA est l’interlocuteur privilégié des salariés du monde agricole en matière de retraite complémentaire et de protection sociale. Avec plus d’ 1,5 million de cotisants, 860 000 retraités et 151 000 entreprises adhérentes, AGRICA est le 8ème groupe de protection sociale complémentaire français. Le groupe a été fondé en 1997 par les institutions paritaires ; agricoles de protection sociale et rassemble aujourd’hui près de 800 collaborateurs. En plus de la gestion des retraites complémentaires et de la prévoyance, ; AGRICA a développé une activité d’épargne salariale et propose au quotidien des aides sociales à ses adhérents.
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