Chine : la fin de la politique de l’enfant unique

Les « petits empereurs » devraient-ils avoir un frère ou une soeur ? C’est l’épineuse question que se posent les autorités chinoises depuis quelques mois.


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Le constat est clair. Alors que les plus de 65 ans représentaient en 2002 seulement 8% de la population chinoise (contre 16% en France et 18,5% au Japon), ils seront 22% en 2030. Bien entendu, comparées aux chiffres japonais (30.7% en 2030) ou français (25% en 2030), ces prévisions de vieillissement paraissent moins préoccupantes. On connaît bien les termes du débat dans les pays industrialisés mais qu’en est-il en Chine ? La taille de la population, la vitesse de la transition démographique et le fait que le pays, à forte dominante rurale, est encore en développement leur donnent une tout autre dimension.


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Entre 1950 et 1975, la Chine voit sa population passer de 540 à 950 millions d’individus. Les estimations d’alors sur les vingt prochaines années sont alarmantes. Seule réponse possible pour nourrir cette population pléthorique : la politique de l’enfant unique, solution radicale s’il en est, mise en place de façon coercitive (sauf pour les minorités) par les autorités de l’époque, après la politique nataliste de Mao (« Une nouvelle tête, c’est aussi deux bras pour travailler à l’avenir de la Chine »). Mais celles d’aujourd’hui ont un tout autre souci qui les oblige à se pencher sur les implications de cette politique qui fête cette année ses 25 ans.


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A y regarder de plus près, les effets négatifs prennent peu à peu le pas sur la baisse réussie de la croissance démographique annuelle qui n’est plus que de 0,7%. L’objectif initial est sans conteste atteint. On estime que sans le planning familial, la Chine compterait environ 1,6 milliards d’habitants contre 1,3 actuellement. Le taux de natalité encore de 35 ‰ en 1970 n’était plus que de 12,86‰ en 2002 (un taux inférieur à celui qui assure le renouvellement des générations).


On le sait, cette politique a changé, de façon peut-être irréversible, la structure de la famille chinoise. Mais ce n’est pas tout. Ne pas avoir de fils est encore considéré par beaucoup de Chinois comme un défaut de piété filiale. Et dans une société encore largement rurale, les garçons continuent d’être privilégiés. Le résultat ne s’est pas fait attendre. Au dernier recensement, en 2000, le ratio-sexe (nombre d’enfants mâles nés pour 100 enfants de sexe féminin) était en moyenne de 117 (contre 103 habituellement). Dans certaines régions, il peut même atteindre 135 ! La Chine n’a pas l’exclusivité du phénomène puisque le Japon ou la Corée ont connu des situations semblables. Mais à l’échelle de la population chinoise, il prend une dimension nouvelle. En 2020, environ 40 millions d’hommes devraient être célibataires. Quelles seront les implications sociales de cette situation ? Les autorités bien conscientes du problème, ont engagé une grande campagne de sensibilisation dans les zones rurales qui s’accompagne d’exemptions d’impôts agricoles ou de la gratuité scolaire pour les ménages dont un des enfants (depuis le début des années 90, on a autorisé les ménages paysans à faire un deuxième enfant si le premier est une fille) serait une fille.


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L’âge médian en Chine était en 2000, de 32 ans (37,6 en France, 41,5 au Japon). La Chine est donc encore un pays jeune. Les plus de 60 ans augmentent tout de même de 3% par an. A ce rythme, l’âge médian devrait passer en 2040 à 44 ans (52.9 ans au Japon) . Le pays va-t-il devoir faire face à un vieillissement massif de sa population ? On est en droit de se poser la question d’autant que l’espérance de vie, de 71,4 ans en 2002, ne cesse de s’allonger. Véritable épée de Damoclès sur la tête de la sacro-sainte stabilité sociale, cette question, compte tenu des enjeux qu’elle comporte, était à l’ordre du jour d’une récente réunion d’experts. La politique de l’enfant unique a trouvé ses limites, dans les villes en particulier, et les familles avec deux enfants retrouvent les faveurs des autorités. A Shanghai par exemple, la Commission de Planification des naissances a décidé depuis le 15 avril de supprimer les aides sociales accordées aux ménages sans enfant (soit 12% des familles shanghaïennes), et d’encourager la naissance d’un deuxième (Il en coûtait jusqu’à présent 60 000 yuans pour avoir un second enfant). Shanghai est en effet la ville où le vieillissement de la population est le plus marqué. Mais la généralisation du deuxième enfant n’est pas pour demain car les autorités ont une peur maladive des pics de natalité qui pourraient alors survenir.


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Devenir vieux avant d’être riche. Voilà bien ce qui différencie la Chine des autres pays industrialisés qui connaissent aussi un vieillissement de leur population. Compte tenu de son niveau de richesse actuel, la Chine dispose-t-elle des moyens financiers pour assurer les filets de sécurité à ses personnes âgées ? A priori oui. Avec un endettement public équivalent à 23% du PIB et des dépenses affectées au paiement des retraites avoisinant les 2% du PIB, la Chine pourrait répondre aux critères de Maastricht. Mais il est prévu qu’elles s’élèvent jusqu’à 10% du PIB si les estimations démographiques se réalisent. Va-t-elle devoir grever des projets de développement pour compenser l’explosion du budget consacrée au paiement des retraites ? Elle éprouve déjà des difficultés à financer celles des salariés d’entreprises d’Etat licenciés dans les années 90. Comme si la note à payer pour renflouer les banques publiques ne suffisait pas, voilà donc un autre fardeau financier que les épaules de l’Etat chinois devront supporter dans les années à venir.


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Si l’Etat chinois ne peut financer les retraites, à quelle porte peut-il frapper ? Celle des épargnants ? Les autorités centrales se sont prononcées très clairement en faveur d’un système à financement partiel qui allie répartition et capitalisation individuelle. Celle de la réforme sur l’âge de la retraite ? Un projet est en cours pour rallonger l’âge actuel de la retraite de 50 à 55 ans pour les ouvriers et de 55 à 60 ans pour les employés et les cadres. Mais le fardeau n’en sera pas plus léger pour autant.


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Autre question de taille : Comment toucher les migrants (100 à 150 millions) ou les ruraux qui ne sont pas intégrés dans des réseaux d’aides sociales ? Les filets de sécurité sociale ont été principalement conçus pour répondre aux besoins des villes. Aussi, leur couverture dans les campagnes reste-t-elle limitée. Et dans les villes, ils couvrent encore principalement les employés des firmes publiques.


L’Etat peut-il alors déléguer la gestion des fonds de pension aux gouvernements locaux ? Deux obstacles apparaissent clairement. Le premier tient au développement inégal des provinces et par conséquence aux montants des fonds de pension cumulés très différents. En outre, les formes de gestion, en dehors de toute directive du Centre, laissent place à des stratégies de recherche de bénéfices peu fiables lors de l’investissement de ces fonds. Dans 21 provinces, les systèmes de financement des retraites sont en faillite. Devant l’anarchisme qui régnait déjà dans ce domaine à la fin des années 90, l’ancien Premier Ministre Zhu Rongji a mis en place en 2000 le Conseil National pour le Fonds de la Sécurité Sociale (NCSSF qui a rang de ministère) en lui octroyant 100 milliards de yuans (9.8 milliards d’euros) dont une partie a été placée sur la Bourse de Shanghai. Aujourd’hui ce fonds dispose de 145 milliards mais il lui faudra mettre les bouchées doubles pour répondre aux besoins qui, d’ici 2050, devraient s’approcher des mille milliards de yuans. Parallèlement, de nouvelles expérimentations de système de retraites sont en cours depuis cette année dans les provinces du Nord (Jilin et Heilongjiang).


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Va-t-on assister à un retour de la politique nataliste ? Pas tout à fait. Mais les tabous sur la politique de l’enfant unique sont levés. Et si les prospectives démographiques se révèlent crédibles, le gouvernement devrait se diriger vers un ajustement du planning familial adapté au type de population, citadine ou rurale.


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Quels que soient les choix en la matière, les autorités centrales ne se départissent pas de la prudence qu’on leur connaît. Aussi, leurs préoccupations démographiques ne sont-elles jamais éloignées des questions financières, en l’occurrence le financement des retraites des 400 millions de Chinois qui auront plus de 60 ans en 2050.


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(Source : HEC Eurasia Institute)


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