Tantôt infantilisés, tantôt catégorisés, il est urgent de faire évoluer le regard que nous portons sur nos aînés. Et si la bientraitance était tout simplement de les considérer comme tout un chacun ?
Véronique Cayado est Docteure en Psychologie, Membre de la SFGG (Société Française de Gériatrie et Gérontologie) et chargée de recherche et développement, Groupe Oui Care.
Qui pourrait penser le contraire ?
La bientraitance n’est pas l’inverse de la maltraitance. Elle ne consiste donc pas simplement à ne pas maltraiter. C’est une approche plus subtile qui porte en elle un idéal d’inclusion sociale. En ce sens, la promotion de la bientraitance vis-à-vis des plus âgés ne commence-t-elle pas par les traiter comme tout à chacun ? C’est aussi en changeant le regard sur la vieillesse et le grand âge que nous nous attaquerons aux fondements de la maltraitance des personnes âgées.
Alors certes, la létalité du virus au sein de la population âgée est telle que se posent des enjeux de santé publique qui dépassent les intérêts individuels. Pour autant, ces mesures de protection et les réactions qu’elles ont soulevées sont révélatrices de deux tendances qui s’opposent dans la société.
La première est l’âgisme avec son lot de discriminations. On considère les plus âgés comme une masse uniforme et différente du reste de la population, ce qui légitimise à leur égard la mise en place de traitements spécifiques. Rappelons, pour autant, que le vieillissement est un processus très inégalitaire. Nous ne vieillissons pas au même rythme. Nous ne sommes pas amenés à développer les mêmes pathologies, au même moment, au même degré et avec des conséquences similaires. De même, les conditions sociales et affectives dans les lesquelles nous poursuivons notre vie à un âge plus avancé, sont-elles aussi très différentes. L’âgisme consiste justement à nier cette hétérogénéité du vieillir. Il existe aussi une autre forme de stigmatisation et de discrimination qui touche les âgés les plus fragiles cette fois et que l’on pourrait qualifier de “vulnérabilisme”. Il s’agit d’une forme de disqualification sociale complète dès lors que l’on présente des signes de fragilité et de dépendance.
La seconde tendance est une tendance purement démographique où les seniors sont courtisés telle une catégorie sociale qui pèse dans les activités économiques et politiques du pays. Déjà 20% de la population française a plus de 65 ans aujourd’hui et le vieillissement va s’accélérer dans les décennies à venir avec l’arrivée à des âges avancés des populations issues du baby-boom d’après-guerre. Imaginez un peu qu’à l’horizon 2070, l’INSSE estime qu’on compterait en France 1 habitant de “65 ans et plus” pour 2 personnes âgées de “20 à 64 ans” !
Et parce que les vieux ne se ressemblent pas et sont à l’image de la société qu’ils ont participée à construire, ceux qui arrivent à l’âge de la vieillesse ne sont pas les mêmes que ceux d’hier. Et ils le font savoir comme cela a été le cas pour la mise en place de conditions spécifiques de déconfinement. “Si le virus a fait de nous une catégorie à part, nous refusons que l’on nous assigne une place à part dans la société !”, telle est finalement l’essence même du rejet massif auquel on a assisté et du recul du gouvernement sur ce point. Ce dernier a bien compris qu’il ne pouvait se mettre à dos nos puissants aînés. Est-ce que le message sera bien passé au niveau des instances dirigeantes qui travaillent actuellement sur le projet tant attendu et repoussé de la loi Grand Âge ? Nous le saurons en septembre, mais une chose est sûre, la société de la longévité ne se fera pas sans les premiers concernés !