Véronique Cayado : Nos aînés peuvent être vulnérables sans pour autant être considérés comme des êtres inaptes

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Tantôt infantilisés, tantôt catégorisés, il est urgent de faire évoluer le regard que nous portons sur nos aînés. Et si la bientraitance était tout simplement de les considérer comme tout un chacun ?

Véronique Cayado est Docteure en Psychologie, Membre de la SFGG (Société Française de Gériatrie et Gérontologie) et chargée de recherche et développement, Groupe Oui Care.

La crise sanitaire a mis sur le devant de la scène les plus âgés d’entre nous. Premières victimes du Covid-19, leur fragilité est apparue au grand jour aussi violemment que les manquements à leur égard. Comment une société qui se proclame des droits de l’homme a-t-elle pu écarter et enfermer de la sorte ses plus âgés ? Selon toute bienséance, il devient essentiel de leur apporter l’attention et la protection qu’ils méritent afin de leur offrir les conditions décentes pour bien vieillir.

Qui pourrait penser le contraire ?

Et bien en premier lieu les aînés eux-mêmes ! Et c’est bien ce qu’ils ont revendiqué lorsque les premières mesures de déconfinement prévoyaient de les tenir à l’écart de la marche du monde de façon à leur éviter toute prise de risque inutile face au virus. Comme si leur bon sens était de telle sorte altéré qu’ils n’étaient pas en mesure de veiller à leur propre sécurité et à celle des autres. Comme si on estimait qu’être vieux, c’était forcément être incapable au sens juridique du terme. Nos aînés peuvent être vulnérables sans pour autant être considérés comme des êtres inaptes qu’il faut protéger tel des enfants. A tous les âges et quelles que soient leurs conditions physiques et morales, ils devraient avoir le droit à la liberté, même celle de faire des erreurs.

La bientraitance n’est pas l’inverse de la maltraitance. Elle ne consiste donc pas simplement à ne pas maltraiter. C’est une approche plus subtile qui porte en elle un idéal d’inclusion sociale. En ce sens, la promotion de la bientraitance vis-à-vis des plus âgés ne commence-t-elle pas par les traiter comme tout à chacun ? C’est aussi en changeant le regard sur la vieillesse et le grand âge que nous nous attaquerons aux fondements de la maltraitance des personnes âgées.

Alors certes, la létalité du virus au sein de la population âgée est telle que se posent des enjeux de santé publique qui dépassent les intérêts individuels. Pour autant, ces mesures de protection et les réactions qu’elles ont soulevées sont révélatrices de deux tendances qui s’opposent dans la société.

La première est l’âgisme avec son lot de discriminations. On considère les plus âgés comme une masse uniforme et différente du reste de la population, ce qui légitimise à leur égard la mise en place de traitements spécifiques. Rappelons, pour autant, que le vieillissement est un processus très inégalitaire. Nous ne vieillissons pas au même rythme. Nous ne sommes pas amenés à développer les mêmes pathologies, au même moment, au même degré et avec des conséquences similaires. De même, les conditions sociales et affectives dans les lesquelles nous poursuivons notre vie à un âge plus avancé, sont-elles aussi très différentes. L’âgisme consiste justement à nier cette hétérogénéité du vieillir. Il existe aussi une autre forme de stigmatisation et de discrimination qui touche les âgés les plus fragiles cette fois et que l’on pourrait qualifier de “vulnérabilisme”. Il s’agit d’une forme de disqualification sociale complète dès lors que l’on présente des signes de fragilité et de dépendance.

La seconde tendance est une tendance purement démographique où les seniors sont courtisés telle une catégorie sociale qui pèse dans les activités économiques et politiques du pays. Déjà 20% de la population française a plus de 65 ans aujourd’hui et le vieillissement va s’accélérer dans les décennies à venir avec l’arrivée à des âges avancés des populations issues du baby-boom d’après-guerre. Imaginez un peu qu’à l’horizon 2070, l’INSSE estime qu’on compterait en France 1 habitant de “65 ans et plus” pour 2 personnes âgées de “20 à 64 ans” !

Et parce que les vieux ne se ressemblent pas et sont à l’image de la société qu’ils ont participée à construire, ceux qui arrivent à l’âge de la vieillesse ne sont pas les mêmes que ceux d’hier. Et ils le font savoir comme cela a été le cas pour la mise en place de conditions spécifiques de déconfinement. “Si le virus a fait de nous une catégorie à part, nous refusons que l’on nous assigne une place à part dans la société !”, telle est finalement l’essence même du rejet massif auquel on a assisté et du recul du gouvernement sur ce point. Ce dernier a bien compris qu’il ne pouvait se mettre à dos nos puissants aînés. Est-ce que le message sera bien passé au niveau des instances dirigeantes qui travaillent actuellement sur le projet tant attendu et repoussé de la loi Grand Âge ? Nous le saurons en septembre, mais une chose est sûre, la société de la longévité ne se fera pas sans les premiers concernés !


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