En septembre 2018, le Premier ministre a demandé à Dominique Libault, de conduire une étude amenant à des propositions de réforme pour faire face à l’accroissement du nombre de personnes âgées dépendantes en France.
En voici une synthèse
Le rapport est le fruit d’une large concertation. Pendant quatre mois, personnes âgées, proche-aidants, professionnels, citoyens de tous âges, collectivités locales, organismes de protection sociale, partenaires sociaux, administrations, parlementaires, opérateurs publics, à Paris et en région se sont mobilisés. Ils ont exprimé leurs attentes et formulé leurs propositions pour améliorer la réponse de la nation à la perte d’autonomie de la personne âgée. Cette concertation débouche, à travers un rapport, sur des orientations et pistes d’action pour une réforme ambitieuse de la prise en charge des personnes fragilisées par l’avancée en âge.
De manière générale, la concertation révèle de fortes attentes. Attente d’un discours fort sur la citoyenneté pleine et entière de la personne âgée, sur sa dignité et son droit à de bonnes conditions de vie. Attente de mesures immédiates de rupture permettant de marquer un changement de modèle. Attente de mesures de long terme permettant de crédibiliser une réorientation de la politique du grand âge. Ces attentes se cristallisent sur des mesures de plusieurs ordres : des mesures symboliques de reconnaissance, des mesures facilitatrices du quotidien, des mesures d’amélioration de la qualité de la prise en charge sanitaire et médico-sociale, des mesures de dimension plus politique et sociétale. Il est donc nécessaire que la représentation nationale puisse se saisir rapidement de ce sujet dans le cadre d’une loi.
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La France vieillit mais le défi de l’avancée en âge est encore devant nous : la part des 75 ans ou plus est passé de 6,6 % en 1990 à 9,1 % en 2015 soit une hausse de 2,5 points en 25 ans. En 2040, 14,6 % des Français auront 75 ans ou plus soit une hausse de 5,5 points en 25 ans. La hausse de l’espérance de vie et l’arrivée à un âge avancé des premières générations du baby boom posent avec encore plus d’acuité la question de la prise en charge des personnes âgées en perte d’autonomie.
Car si l’espérance de vie des Français est parmi les plus élevées d’Europe, ce n’est pas le cas de l’espérance de vie en bonne santé : à 65 ans, une femme française peut espérer vivre encore près de 23,7 ans mais 10,6 en bonne santé contre 16,6 en Suède et 12,4 en Allemagne ou 11,9 au Danemark. Nul ne peut se sentir immunisé face à la perte d’autonomie lié à l‘âge : sur 10 personnes qui décèdent en France, 4 ont connu la perte d’autonomie dont 2 de façon sévère et 3 ont vécu leurs derniers jours en établissement. La perte d’autonomie est donc incontestablement un risque social. Le couvrir fait écho à la philosophie de notre système de protection sociale : donner aujourd’hui et recevoir lorsque le risque survient.
Du fait de la démographie, le nombre de personnes âgées en perte d’autonomie va inéluctablement s’accroître même si les progrès de la médecine, les efforts de prévention et l’amélioration des conditions de vie peuvent contribuer à faire diminuer les taux de prévalence. La France devrait compter environ 20 000 personnes âgées en perte d’autonomie de plus chaque année d’ici 2030. Entre 2030 et 2040, le rythme s’accélèrerait avec une hausse annuelle moyenne de l’ordre de 40 000.
Affronter la réalité démographique de la hausse du nombre de personnes âgées dépendantes
La France fait donc face à une double exigence : affronter la réalité démographique de la hausse du nombre de personnes âgées dépendantes, qui outre un effort financier nécessite de faire évoluer le regard sur le grand âge, mais également faire évoluer l’offre proposée, le modèle actuel semblant à bout de souffle.
Depuis 10 ans, le nombre d’Ehpad a fortement augmenté : en 2017 la France compte près de 590 000 lits contre 500 000 en 2009. Le nombre de personnels s’y est accru avec un taux d’encadrement qui est passé entre 2007 et en 2015 de 57 à 63 équivalents temps plein (ETP) pour 100 résidents. Mais cette hausse quantitative incontestable ne semble pas suffisante pour répondre à l’enjeu, en particulier parce que les résidents sont de moins en moins autonomes. Le modèle de l’Ehpad est contesté : les Français se prononcent très majoritairement en faveur du domicile alors que la France rencontre un taux parmi les plus élevés d’Europe et près de deux fois plus fort qu’en Suède ou au Danemark. Ainsi 21% des personnes de plus de 85 ans vivent en institution en France.
Les restes à charge sont élevés en établissement, autour de 1 800 € par mois en moyenne, mais la question est moins le coût global que la capacité des ménages à y faire face. D’une part, le niveau de vie relatif moyen des plus de 65 ans en France est le plus élevé de l’OCDE. D’autre part, du fait de leur patrimoine, environ 3 sur 4 ont les moyens de faire face à ce coût pour une durée d’au moins 6 ans. Le système de prise en charge financière est toutefois injuste, les personnes gagnant entre 1000 et 1600 € par mois étant les moins subventionnées alors même que leurs ressources sont réduites. Concernant l’aide à domicile, le secteur souffre avant tout d’un problème d’offre. La demande est largement solvabilisée (à 90 %) du fait des réformes récentes. En revanche, le mode de tarification des services, à l’heure actuelle, ne permet pas de financer les indispensables temps de coordination et de formation. Les difficultés de recrutement sont considérables, les conditions de travail difficiles, l’absentéisme très élevé et les accidents du travail records. L’urgence est d’investir dans la qualité de service qui ne peut passer que par une amélioration des conditions de travail.
Au total, la concertation a estimé qu’environ 830 000 ETP travaillaient dans le champ de la perte d’autonomie du grand âge. Du fait de la démographie, ce nombre devrait augmenter d’environ 20 % d’ici 2030, en l’état actuel de l’offre. Si on y ajoute les mesures ici proposées, la hausse atteindrait près de 30 %. Il faut nous y préparer.
Des efforts importants ont déjà été faits. En 2014, les dépenses publiques en faveur du grand âge représentaient 23,7 Mds € soit 1,1 % de la richesse nationale. Grâce aux réformes récentes, cette part aurait grimpé à 1,2 % en 2018 selon les travaux de la concertation. Même si les restes à charge demeurent élevés en établissement ils ne doivent pas masquer la réalité : 80 % de la dépense relative au grand âge est d’ores et déjà prise en charge par la solidarité nationale. Pour autant, les Français aspirent à un effort plus marqué : une exigence quantitative de voir plus de personnel auprès de leurs aînés et une exigence qualitative pour que leurs derniers jours soient sereins et heureux.
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Ces constats, corroborés par de nombreux rapports récents, appellent une réforme d’ampleur.
La première nécessité pour demain est d’assurer auprès des personnes fragilisées par le grand âge la présence suffisante de professionnels qualifiés, fiers de leurs métiers, dans une relation d’accompagnement non seulement technique mais aussi humaine. Or, à domicile comme en établissement, les directeurs de structures peinent à recruter et à fidéliser leur personnel. Face à la hausse attendue du nombre de personnes âgées en perte d’autonomie dans les prochaines années, la pénurie de personnel constitue un risque crédible. Il est donc urgent de restaurer l’attractivité des métiers du grand âge, en donnant une priorité à l’amélioration des conditions d’exercice : les effectifs doivent augmenter pour accroître le temps de présence en proximité de la personne ; l’organisation des services à domicile et des établissements doit évoluer pour favoriser les temps collectifs et mieux valoriser les savoirs professionnels ; la prévention des accidents du travail doit être renforcée ; les formations et les compétences doivent évoluer pour mieux préparer les professionnels aux attentes nouvelles ; des perspectives de carrière doivent être ouvertes. La mobilisation pour la revalorisation des métiers du grand âge est la première étape, indispensable, d’une amélioration du service rendu aux personnes âgées et de la généralisation d’un accompagnement bientraitant.
Le deuxième impératif est la simplification du système d’accompagnement et de soin de la personne âgée. L’accompagnement d’une personne âgée en perte d’autonomie s’apparente trop souvent à un parcours du combattant. En outre, le système actuel génère trop souvent de dramatiques ruptures de prise en charge entre le domicile, l’établissement, l’hôpital. Pour éviter ces ruptures, pour simplifier les démarches, il convient de mettre un terme à des interventions en silos. L’accompagnement de la personne âgée en perte d’autonomie se caractérise par le nombre et la variété des intervenants (aide à domicile, aide-soignant, infirmier, médecin, travailleur social, kinésithérapeute, etc.). La coordination des acteurs sociaux, sanitaires et médico-sociaux autour de la personne est indispensable à la fluidité des parcours et à la simplification des démarches. La prise en charge de la personne âgée doit donc être repensée à travers le nouveau paradigme du parcours. Une autre spécificité de la personne âgée en perte d’autonomie réside dans le fait qu’elle souffre souvent de plusieurs pathologies : l’adaptation des acteurs sanitaires (hôpital, médecine de ville) à ce besoin de prise en charge globale est également un enjeu majeur.
Il faut ensuite engager un changement profond du modèle d’accompagnement. Le défi consiste à concrétiser un principe simple : la personne âgée doit se sentir « chez soi », quel que soit son lieu de vie. Cela suppose d’affirmer résolument la nécessité de privilégier la vie au domicile de la personne, le plus longtemps possible, et donc de diminuer la part de la population âgée en perte d’autonomie résidant en établissement. Cette priorité accordée au domicile exige de répondre à la fragilité économique des services d’aide et d’accompagnement à domicile. Ce nouveau modèle suppose également, car la vie à domicile présente également des risques, en particulier des risques d’isolement, de sortir d’un choix binaire entre l’Ehpad et le domicile, en développant des formes alternatives et accessibles de prise en charge : résidences autonomie, accueil familial, accueil temporaire, accueil de jour, habitat intergénérationnel et inclusif notamment. Cela suppose enfin de repenser l’Ehpad. Si l’Ehpad peut souvent faire figure aujourd’hui de repoussoir, des expériences innovantes et encourageantes montrent que la vie en établissement peut être heureuse. L’image écornée de l’Ehpad ne reflète que partiellement la réalité des pratiques d’accompagnement des personnes en établissement. Il faut pouvoir se sentir « chez soi » en Ehpad. Il faut également que les établissements pour personnes âgées s’ouvrent vers l’extérieur, offrent des services à la population de leur bassin de vie, s’intègrent mieux aux structures d’accompagnement et de soin à domicile. Ce changement de modèle repose sur un pilotage renforcé de la qualité de service et sur une plus forte diffusion des bonnes pratiques qui existent aujourd’hui, à domicile et en établissement.
La prise en charge financière de la perte d’autonomie de la personne âgée, doit être réalisée par des prestations plus lisibles pour les bénéficiaires, plus justes, et permettant une réduction significative du coût du séjour en établissement pour les personnes les plus modestes. Les prestations sont aujourd’hui complexes, peu lisibles. Si le reste à charge est maîtrisé à domicile, on l’a vu il reste important en établissement. L’allocation personnalisée d’autonomie (APA) à domicile doit être rénovée pour assurer l’effectivité des droits, faciliter l’accès à des solutions de répit pour les proches aidants et à des aides techniques pour mettre l’innovation technologique au service de la personne âgée. Les prestations doivent être plus homogènes au niveau national, afin de réduire les hétérogénéités sur le territoire, qu’il est trop souvent difficile de justifier. Cette plus grande égalité de traitement participe de l’affirmation de la perte d’autonomie comme un risque social à part entière, qui justifie aussi une intervention plus forte de la solidarité nationale. Cette socialisation du risque doit se traduire par une intervention financière plus importante de l’assurance maladie dans le financement des établissements et dans la prise en charge de la perte d’autonomie lourde de longue durée. Enfin, les capacités contributives des personnes doivent être mieux prises en compte. La réduction du reste à charge en établissement est justifiée pour les plus modestes. Si l’amélioration de la qualité de l’offre est prioritaire, le présent rapport propose également des mesures très significatives et ciblées de diminution du coût de la prise en charge en établissement.
La France n’investit pas suffisamment dans la prévention de la perte d’autonomie. Les travaux de recherche, validés en 2018 par l’Organisation mondiale de la santé, ont démontré que la perte d’autonomie n’était pas une fatalité. Or la prévention de la perte d’autonomie occupe une place sinon marginale du moins mal identifiée et en tout état de cause peu lisible dans les politiques du grand âge. Un objectif ambitieux d’augmentation de l’espérance de vie en bonne santé doit permettre une mobilisation forte de tous les acteurs, au niveau national et sur les territoires, pour sensibiliser, mieux détecter les fragilités des personnes de façon précoce, diffuser les réflexes de prévention et former les professionnels aux bonnes pratiques préventives.
Plus largement, la personne âgée doit rester citoyenne à part entière : son cadre de vie doit être adapté à ses fragilités, et les solidarités de proximité, à commencer par la présence des proches aidants, doivent être soutenues pour prévenir le fléau de l’isolement. 3,9 millions de proches aidants demandent à être mieux reconnus, à accéder à des solutions de répit, à voir leurs démarches simplifiées et à pouvoir mieux articuler leur vie professionnelle et leur rôle d’aidant, y compris à travers un accompagnement financier. Le maintien des liens de la personne âgée avec son environnement social engage cependant les solidarités de proximité au-delà de la sphère des proches aidants. La présence de bénévoles, la préservation de liens intergénérationnels, l’organisation de services de proximité en matière de mobilité, d’adaptation des logements, d’aménagement, d’urbanisme, de numérique, participent à l’inclusion de la personne âgée dans la société. La construction d’une société inclusive pour les publics en perte d’autonomie, personnes âgées comme personnes en situation de handicap, doit franchir une nouvelle étape pour affirmer, partout, la citoyenneté et la dignité de la personne âgée.
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175 propositions pour une réforme ambitieuse de la politique du grand âge
La mise en œuvre concrète de ces orientations est un défi qui doit mobiliser largement. Le rapport présente ainsi 175 propositions pour une réforme ambitieuse de la politique du grand âge, intégrant l’ensemble de ces enjeux. Si ces 175 mesures participent toutes d’un objectif de changement de la façon de vivre son grand âge, certaines propositions structurantes doivent être mises en exergue.
La simplification des démarches des personnes âgées et des proches aidants repose sur la mise en place de points d’entrée clairement identifiés pour l’ensemble des prises en charge. Il est donc proposé de créer un réseau de Maisons des aînés et des aidants sur l’ensemble du territoire national. Ce guichet unique de la personne âgée et du proche aidant constituerait le lieu d’information, d’orientation, d’accompagnement dans les démarches et d’explicitation des droits. Il aurait également pour mission d’amorcer la coordination des interventions sociales, médico-sociales, sanitaires, autour de la personne âgée et de ses aidants, en particulier pour les accompagnements les plus complexes. Les Maisons des aînés et des aidants se substitueraient aux dispositifs d’accueil existants, nombreux, hétérogènes et trop souvent mal identifiés. Elles articuleraient des accueils physiques de proximité, un accueil en ligne et un accueil téléphonique.
Un plan national pour les métiers du grand âge doit être lancé pour articuler les nombreux chantiers indispensables à l’attractivité des métiers et à la montée en compétences de l’ensemble des professionnels. Ce plan serait la première étape d’une dynamique nationale pour les métiers du grand âge et engagerait notamment une refonte des référentiels de compétence, le développement de l’apprentissage dans le secteur, un travail de rapprochement des conventions collectives du secteur, une mobilisation pour la prévention des risques professionnels, un chantier d’ouverture de perspectives de carrière pour les professionnels de proximité (aides à domicile et aides-soignants en particulier).
L’amélioration de l’accompagnement et de la qualité du service suppose d’augmenter le temps de présence humaine en proximité de la personne âgée. Il est donc proposé de financer une hausse des effectifs en établissement, à travers une augmentation de 25 % du taux d’encadrement en Ehpad d’ici 2024 pour les personnels auprès des résidents, mesure portée à 80% par un financement de l’assurance maladie. Cet accroissement représente une hausse de 13 équivalents temps plein pour 100 résidents par rapport à la situation de 2015. à domicile, un effort financier de 550 millions d’euros d’ici 2024 en faveur des services d’aide et d’accompagnement à domicile est proposé. L’objectif est clairement d’améliorer la qualité de l’accompagnement à domicile. Cet effort serait conjugué à une réforme de leurs modalités de tarification. Elle permettrait d’une part d’assurer une plus grande homogénéité entre les départements, d’autre part de contractualiser le financement d’actions de prévention, de formation, ou l’organisation de temps collectifs. Cet effort financier doit permettre une revalorisation salariale pour les métiers du domicile.
Afin de fluidifier les parcours des personnes âgées et d’éviter les ruptures de prise en charge, il est proposé de définir par voie législative un droit commun au parcours de santé et d’autonomie pour les personnes âgées, appelant la création de réponses plus globales et coordonnées entre les différents secteurs, gages d’une meilleure pertinence et efficience du système. A l’hôpital en particulier, il est proposé de tendre vers le « zéro passage aux urgences évitable » des personnes âgées, notamment en organisant dans les établissements de santé une filière d’admissions directes des personnes âgées polypathologiques dans les services hospitaliers.
Concernant l’offre médico-sociale, le changement de modèle passe par la création d’un fonds d’accompagnement à la restructuration de l’offre doté de 150 millions d’euros par an permettant notamment de développer les accueils temporaires et les accueils de jour, en particulier itinérants, et d’ouvrir les établissements sur leur territoire de proximité. Il est également proposé de créer un « fonds qualité » doté de 150 millions d’euros par an pour financer les actions relatives à la qualité de vie au travail, à la prévention ou à la formation préalable à l’obtention de labels. Un plan de rénovation des établissements de 3 milliards d’euros sur dix ans devra par ailleurs être lancé, en particulier pour les établissements publics. Ce plan intègrera des exigences accrues en termes de qualité architecturale et valorisera la réalisation de petites unités de vie (15-20 personnes) au sein des établissements. Enfin, un nouveau statut serait créé pour des établissements territoriaux pour personnes âgées. Ils recevraient une autorisation et un financement global pour délivrer une palette de services et constituer ainsi des centres de ressources du grand âge, ouverts sur leur territoire. La transformation de l’établissement engagée à travers ses mesures doit enfin se traduire par un changement de nom des Ehpad, qu’il est proposé de rebaptiser « Maisons du grand âge » ou « Maisons médicalisées des séniors ».
La refonte des prestations passe notamment par la proposition de créer une nouvelle « prestation autonomie », qui remplacerait l’APA à domicile. Cette nouvelle prestation serait organisée en trois volets (aides humaines, aides techniques, répit et accueil temporaire) afin de faciliter l’accès aux solutions de répit ou d’accueil temporaire et aux aides techniques. En établissement, une simplification majeure serait engagée avec la fusion des sections tarifaires « soins » et « dépendance » en Ehpad. Cette réforme permettrait de positionner un financeur unique pour l’ensemble des prestations de soin et d’hygiène, ce qui faciliterait le pilotage des démarches qualité et de la transformation du modèle de l’établissement. Enfin, une baisse sensible du reste à charge en établissement est proposée. Elle concernera les personnes dont les revenus courants se situent entre 1000 et 1600 € par mois avec la création d’une nouvelle allocation qui permettrait de baisser leur reste à charge de 300€.
Un « bouclier autonomie » serait par ailleurs mis en place, et annulerait le reste à charge au-delà de 4 années pour tous les résidents en situation de perte d’autonomie lourde.
En matière de prévention de la perte d’autonomie, il est notamment proposé de s’appuyer sur les standards reconnus par l’Organisation mondiale de la santé pour déployer sur tout le territoire une approche renouvelée et systémique de la prévention de la perte d’autonomie. Cela suppose de développer des actions de prévention ciblées entre 50 et 75 ans pour maintenir le plus longtemps possible les capacités essentielles attachées à l’autonomie, et dès 75 ans pour suivre ces fonctions et alerter en cas de risque de perte fonctionnelle. Cette démarche suppose la mise en place d’actions de sensibilisation, de rendez-vous de prévention et le déploiement d’actions de formation pour l’ensemble des professionnels du grand âge.
Outre la mise en place des Maisons des aînés et des aidants et la facilitation de l’accès aux solutions de répit dans le cadre de la nouvelle « prestation autonomie », le soutien aux proches aidants passe par l’indemnisation du congé de proche aidant, sous forme d’allocation journalière versée au salarié proche aidant. Un meilleur repérage des aidants à travers le dossier médical partagé doit par ailleurs permettre de cibler des actions de prévention en direction de ce public, particulièrement fragile.
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Les propositions du rapport participent pleinement à la reconnaissance de la perte d’autonomie de la personne âgée comme un risque de protection sociale à part entière.
Cette reconnaissance est aujourd’hui fondamentale, non seulement sur un plan symbolique, mais également dans la perspective d’un pilotage financier renforcé et d’un débat démocratique approfondi. Il est ainsi proposé d’intégrer le risque de perte d’autonomie dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale. Cette reconnaissance doit permettre de mieux identifier le risque de perte d’autonomie et les arbitrages éventuels au sein de la protection sociale, en tenant compte de l’évolution des différents risques.
Les coûts et le financement
Cette ambition présente un coût. Mais elle constitue également un investissement, notamment par une prévention plus active, une coordination des acteurs plus forte limitant les hospitalisations évitables, la mise en emploi de personnes en parcours d’insertion ou de demandeurs d’emploi. Les propositions présentées ici conduiraient les dépenses publiques autour de 1,6 % du PIB en 2030 soit près de 35 % de plus qu’en 2018. Environ 45 % de cette hausse proviendrait du seul effet de l’évolution démographique, les 55 % restants finançant les mesures proposées pour l’amélioration de la qualité de l’offre ou pour la baisse du reste à charge en établissement. Le financement public de la perte d’autonomie liée à l’âge est privilégié, la mise en place d’une assurance privée complémentaire obligatoire n’étant pas retenue. La concertation a examiné des projets de recettes en privilégiant celles qui excluaient des hausses de prélèvements obligatoires. Ils se déclinent en deux temps :
- En 2024, date d’extinction de la dette sociale aujourd’hui amortie par la Caisse d’amortissement de la dette sociale, financée actuellement par la contribution pour le remboursement de la dette sociale (CRDS), un nouveau prélèvement social pérenne serait mis en place, sur l’assiette de la CRDS, et serait en partie affecté au financement de la perte d’autonomie.
- Avant 2024, les dépenses seraient financées en recourant à l’affectation d’éventuels excédents du régime général obtenus grâce à une gestion rigoureuse des dépenses de sécurité sociale, à une priorisation des dépenses relatives aux personnes âgées dans l’arbitrage de l’évolution des dépenses sociales, et à un décaissement du Fonds de réserve des retraites.
Il doit être également noté que les dépenses que financerait une nouvelle contribution sociale se substituant à la CRDS constitueraient de nouvelles dépenses publiques, ce qui est neutre en termes de solde public par rapport à l’hypothèse d’extinction de la CRDS, mais augmenterait le déficit public au sens des engagements européens de la France par rapport à la situation actuelle. Il en va de même pour les dépenses financées par un décaissement du Fonds de réserves des retraites.
La trajectoire ici dessinée devra être cohérente avec l’équilibre global des comptes publics, dont les enjeux débordent du cadre fixé à la concertation. Avant comme après 2024, pour assurer la neutralité de la réforme sur le solde public, il convient d’assumer une stratégie de priorisation des dépenses liées à la perte d’autonomie par rapport aux autres dépenses sociales (retraite et santé notamment). Cette solution affirmerait clairement un arbitrage politique en faveur du grand âge compatible avec les engagements macroéconomiques globaux de la France.
En parallèle, la mobilisation des patrimoines doit être facilitée pour le financement de la perte d’autonomie, à travers le développement d’instruments spécifiques, en particulier les sorties en rentes viagères des produits d’épargne, les solutions modernisées et mutualisées de viager, et le prêt viager hypothécaire adapté aux situations de perte d’autonomie.
La réforme proposée doit enfin reposer sur une gouvernance clarifiée, dans le sens d’un plus grand partenariat, d’une clarification des responsabilités de chaque acteur, d’une simplification du pilotage et d’une réduction des hétérogénéités de traitement. Le pilotage de la politique du grand âge doit répondre aux besoins de la personne, et non à des logiques institutionnelles. Le rapport propose ainsi deux scenarii pour un pilotage plus unifié de l’offre médico-sociale au niveau local. Il propose également de confier au département l’animation territoriale de l’adaptation du cadre de vie de la personne âgée en perte d’autonomie, dans le respect des compétences des communes et des intercommunalités. Enfin, au niveau national, la CNSA doit voir renforcées ses missions de garante de l’équité territoriale, de repérage et de diffusion de bonnes pratiques, et de pilotage financier.
Les pouvoirs publics ont souhaité organiser une concertation centrée sur la perte d’autonomie de la personne âgée. Cette demande a de facto conduit à ne pas approfondir l’articulation du système de prise en charge des personnes âgées avec le système consacré aux personnes en situation de handicap. Ce sujet ne pouvait cependant pas être ignoré. Ainsi, de nombreuses mesures proposées dans ce rapport vont dans le sens d’un rapprochement entre les deux régimes, par exemple à travers l’évolution de la prestation de compensation à domicile. De nombreuses propositions sont communes aux personnes âgées et aux personnes en situation de handicap, par exemple les mesures consacrées aux proches aidants. Par ailleurs, il serait souhaitable que le risque de perte d’autonomie intégré dans le champ des lois de financement de la sécurité sociale couvre l’ensemble du champ de l’autonomie, handicap et grand âge.
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Le rapport propose une réforme profonde de la prise en charge du grand âge. Cette réforme ne pourra prendre sa pleine mesure que dans la durée, mais doit s’appuyer sur des mesures d’urgence mises en œuvre rapidement. Toutes ces mesures ne relèvent pas de la loi. Certains sont d’ordre réglementaire. D’autres ne supposent pas de modification du droit. Toutes exigent en revanche une prise de conscience forte, de l’ensemble des acteurs et de la société dans sa globalité, de l’impératif de la construction de réponses dignes aux enjeux du grand âge.