Une mission dite « flash » sur la situation et la problématique des établissements d’hébergement pour les personnes âgées dépendantes (Ehpa) a été conduite par la députée Monique Iborra. En voici les 4 principaux constats du rapport.
Une évolution de la population accueillie
La loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement de 2015 a exploré et encouragé le maintien à domicile mais n’a pas traité de la place des Ehpad dans le parcours de la personne âgée. Si le maintien à domicile est en effet l’une des solutions envisagées, il n’en reste pas moins que dans l’état actuel des choses, certaines personnes se trouvent dans l’obligation d’avoir recours à l’Ehpad.
Le profil des personnes accueillies par les Ehpad est différent de celui qu’il était il y a quelques années. Les personnes entrant ont en moyenne plus de 85 ans, et leur temps de séjour est en moyenne de deux ans et demi. Elles présentent des pathologies multiples, des complications de maladies chroniques, et souffrent pour certaines d’entre elles de troubles du comportement, notamment liés à la maladie d’Alzheimer.
Si l’on doit faire en sorte que l’Ehpad soit un « lieu de vie dans lequel on soigne », il devient en réalité de plus en plus un « lieu de soin dans lequel on vit ». Cependant, les usagers et les familles attendent qu’un équilibre soit maintenu entre l’accompagnement et le soin. Un nouveau modèle de prise en charge des soins doit pouvoir s’opérer, médicalisation ne signifiant pas déshumanisation.
Cette évolution a été traduite par les pouvoirs publics en un encadrement plus technocratique qu’efficace et un foisonnement des normes qui pèsent aujourd’hui sur les établissements, sans cependant leur donner les moyens de l’évolution nécessaire pour répondre aux besoins des personnes accueillies.
Des sous-effectifs en personnel et des conditions de travail difficiles
L’augmentation du niveau moyen de dépendance des résidents en Ehpad alourdit la charge de travail des personnels soignants rendant les conditions de travail, notamment pour les aides-soignants, particulièrement préoccupantes, tant du point de vue physique que psychologique. Le taux d’absentéisme est en moyenne de 10%, les accidents du travail en Ehpad seraient aujourd’hui deux fois supérieurs à la moyenne nationale, et supérieurs à ceux dans le secteur du BTP.
Une enquête de la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques du Ministère de la santé (Dress) de 2015 montre en effet des conditions de travail difficiles pour des personnels cependant très engagés et dont il faut absolument reconnaître l’investissement. L’organisation du travail est en tension et peut être la source de dégradation importante des conditions d’exercice des métiers de soignants. Dans certains Ehpad, on parle de « maltraitance institutionnelle ».
Une médicalisation des établissements nécessaire qui reste insuffisante. Des recrutements difficiles à opérer.
Le médecin coordonnateur, dont la présence est rendue obligatoire dans les Ehpad, est de plus en plus difficile à recruter et à fidéliser. Un tiers des établissements en seraient dépourvus, ne respectant pas ainsi la réglementation en vigueur. Son statut est peu clair, sa présence souvent à temps partiel, et il n’a le droit de prescription qu’en cas de situation d’urgence ou de risques vitaux, ainsi que lors de la survenance de risques exceptionnels ou collectifs.
La présence médicale est aujourd’hui assurée par les médecins généralistes pouvant être aussi nombreux que les résidents, ce qui nécessite une coordination médicale. On constate aujourd’hui dans toutes les catégories de soignants un déficit de la formation initiale en gérontologie. Pour les médecins par exemple, ce n’est que cet automne que la gériatrie va devenir une spécialité sanctionnée par un diplôme d’études spécialisées pouvant être choisi dès la première année d’internat.
L’absence d’infirmiers de nuit dans la grande majorité des établissements est souvent la cause d’hospitalisations aux urgences, qui auraient pu être évitées dans un certain nombre de cas. Ces allées et venues entre les services d’hospitalisation et l’Ehpad peuvent avoir des effets déstabilisants sur les personnes, et représentent un coût élevé.
On constate des recrutements de personnels difficiles, notamment chez les aides-soignants. En Occitanie par exemple, on déplore une chute de 30 % des candidat.e.s à l’obtention du diplôme d’aide-soignant. Ce manque de personnel entraîne des recrutements de « faisant-fonction » dont la qualification est insuffisante au regard des personnes accueillies. On observe des glissements de tâches préjudiciables à la qualité des soins, et sources d’inquiétudes pour les soignants, conduits à exercer des tâches pour lesquels ils ne sont pas formés.
Une tarification de type « kafkaïen »
Le financement des Ehpad repose, depuis 1997, sur une tarification distinguant trois catégories de dépenses :
• les dépenses de soins, financées par l’assurance maladie et dont les dotations globales sont fixées par les agences régionales de santé (ARS) ;
• les dépenses de dépendance, financées, via l’allocation personnalisée d’autonomie (APA), par les départements ;
• les dépenses d’hébergement qui restent à la charge des résidents, sauf s’ils sont bénéficiaires de l’aide sociale départementale – dans quel cas le conseil départemental peut s’acquitter de tout ou partie des frais d’hébergement à la charge des personnes âgées éligibles à cette aide.
Depuis 2015, l’ensemble des gestionnaires d’Ehpad l’obligation de conclure un Contrat Pluriannuel d’Objectifs et de Moyens (CPOM) avec les présidents des conseils départementaux et les directeurs généraux des ARS, en lieu et place des anciennes conventions tripartites. Ce document mériterait d’être simplifié pour être véritablement opérationnel.
Une application du décret du 21 décembre 2016 contestée Alors que la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement se voulait a priori équitable pour le citoyen en permettant de rapprocher tous les Ehpad d’une norme de financement et, indirectement, d’un taux d’encadrement cible à terme, et en mettant ainsi fin à des inégalités infradépartementales, le décret du 21 décembre 2016 a défini des équations tarifaires extrêmement complexes qui, malgré des mécanismes de convergence progressive, conduisent à accentuer des inégalités territoriales d’un département à l’autre. D’après certains acteurs comme la Fédération hospitalière de France (FHF), cette nouvelle tarification pénalisera particulièrement les Ehpad publics, et, dans une moindre mesure, les Ehpad associatifs. Ce décret suscite aujourd’hui une levée de boucliers de l’ensemble des acteurs du secteur public auditionnés.
En effet, il semble que cette nouvelle tarification ne tient compte ni de l’inflation ni de la structure des coûts réels résultant du statut des établissements – les Ehpad publics ayant des charges de personnel différentes de celles des Ehpad privés qui, de leur côté, bénéficient, contrairement aux premiers, du crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) et du crédit d’impôt de taxe sur les salaires (CITS) qui, au demeurant, est lui-même relativement méconnu.
D’après ce qui m’a été indiqué, certains départements (une dizaine, semble-t-il) ont purement et simplement décidé de ne pas appliquer la réforme tarifaire, tandis que d’autres ont choisi de l’appliquer moyennant d’importants correctifs, étant précisé que l’Assemblée des départements de France, tout comme l’Union nationale des centres communaux d’action sociale (UNCCAS), demandent que soit pris le temps nécessaire pour remédier aux difficultés identifiées.
Un reste à charge important pour certaines catégories de la population
Un mouvement de déshabilitation à l’aide sociale départementale provoque par insuffisance de dotations publiques un reste à charge que certaines personnes ne peuvent assumer, notamment les femmes qui sont majoritaires dans les Ehpad et dont les revenus ne peuvent couvrir un hébergement dont le coût peut avoisiner 2 000 euros en moyenne.
Malgré la participation financière obligatoire des obligés alimentaires (enfants et petits-enfants), la déshabilitation des places d’aide sociale, parfois demandée par les établissements pour rentrer dans un système classique permettant de libérer les tarifs, ou par les départements qui veulent limiter leur charge financière, doit faire l’objet d’une vigilance particulière sur l’exercice plein et entier par les départements de leur compétence de l’action sociale, dont ils sont chefs de file.