Le 10 septembre 2019, le journal Les Echos annonce que le “groupe Damartex a passé une lourde dépréciation de 23 millions d’euros sur sa marque d’habillement Afibel qui vise les seniors. Vendue sur catalogue et sur le web, celle-ci ne s’est pas modernisée assez vite pour répondre aux attentes des nouveaux retraités, adeptes des jeans et d’Internet”.
Au lieu de commenter les résultats financiers de Damartex, les acteurs de la Silver économie feraient mieux de veiller à ne pas être dans la même situation ou une situation encore plus critique.
Damart a la chance d’avoir une équipe dirigeante consciente des challenges et très fine connaisseuse de l’environnement des Seniors. Ce qui n’est pas le cas partout.
Voici ce que je répondais ce matin à un dirigeant d’entreprise sur la Silver économie qui me demander mon avis par rapport aux résultats financiers de la branche Senior de Damartex.
Nous étions en 2006, j’étais en Grande-Bretagne pour donner une conférence sur le marché des Seniors. Après mon intervention, plusieurs personnes viennent me voir pour poser des questions très précises, notamment le président d’une association importante de retraités.
Il s’agit d’une association de défense des retraités avec un position que certains acteurs français jugeraient “commercial” en proposant, en plus de son activité de base, des produits et services à destination des plus de 60 ans.
Il vient me voir, il me dit “je suis d’accord avec ce que vous avez dit à propos de la façon d’aborder le marché, les jeunes Seniors sont très différents des Seniors d’aujourd’hui ».
Je répète nous étions déjà en 2006.
“Je dirige cette association qui cible les plus de 60 ans et dont les membres sont des retraités anglais et nous voyons bien que les jeunes Seniors sont moins intéressés par devenir adhérents. Notre association vieillit et pourrait bien disparaître”.
“Si nous n’y prenons pas garde, si nous n’arrivons pas à attirer les jeunes Seniors, notre association va disparaître”.
Il me demande si je peux l’aider dans sa réflexion, ce que j’ai fait.
Je lui confirme que les jeunes Seniors sont effectivement très différents les Seniors actuels, de part leurs valeurs, leur façon de consommer, leurs parcours de vie, leurs états de santé, leurs façons d’apprendre et de prendre des décisions, etc.
Attirer les jeunes Seniors tout en conservant les Seniors actuels.
Vous devez bien sûr les séduire pour qu’ils rejoignent votre association, MAIS, attention vous devez le faire avec tact et la précision d’un horloger, car votre challenge est d’attirer les jeunes Seniors tout en conservant les Seniors actuels.
Je lui répète : vous devez prendre soin de garder vos adhérents actuels, les plus âgés, tout en attirant les jeunes Seniors, les baby-boomers.
Plusieurs acteurs et entreprises dans le monde se sont trop rapidement focalisés sur les baby boomers et ont perdu leurs clients existants. Ces acteurs ont rencontré de très grosses difficultés.
Et ce n’est pas chose facile car vous allez devoir répondre aux besoins, aux envies aux attentes, aux espoirs de deux générations qui ont des valeurs différentes.
La même année, aux USA, le nouveau président arrivait à la direction de l’AARP et notait le même phénomène : des adhérents vieillissants et un (plus grande) refus des boomers d’adhérer à l’association.
Toujours le même problème : une association jugée trop Senior qui risquait d’être boycottée par les Boomers.
Nous sommes, quelque part, dans une situation similaire à celle de la VPC Senior, mais aussi, et j’insiste beaucoup, à de très nombreuses entreprises sur la Silver économie en France et en Europe.
Ainsi, la nouvelle direction de l’association AARP engage de très nombreux chantiers pour moderniser l’association, de façon à garder les Seniors adhérents les plus âgés, qui formaient le vivier de l’association, tout en attirant les baby boomers.
C’est, par exemple, la fusion des deux magazines “My Generation” et “Modern Maturity” en un nouveau “AARP The Magazine” avec trois éditions légèrement différente pour chacune des 3 générations ciblées par l’association.
C’est aussi une charte graphique à respecter pour les exposants du ”Salon pour Seniors” américains.
C’est l’orientation de l’association vers des centres d’intérêt qui sont également, plus en phase, avec ceux des Boomers.
Plus de 10 ans après, l’AARP a réussi son virage en passant d’une association réservée aux retraités à une association beaucoup plus dynamique pour les personnes de plus de 50 ans.
Même la définition du sigle de l’association a évolué, passant de AARP (Retired People) à AARP (Real Possibilities).
D’autres acteurs n’auront pas cette chance.
Dans le champ de la Silver économie, beaucoup d’acteurs ont développé des produits et des services depuis plus ou moins longtemps, voir très récemment dans le cadre de la filière, avec (et pour) des Seniors les plus âgés.
Ces acteurs disent souvent “l’avenir est devant nous avec l’arrivée des baby-boomers”.
Ce à quoi, j’essaie de répondre (avec tact) qu’au contraire les baby-boomers pourraient bien être leur tombe.
Ces acteurs pensent que Boomers vont naturellement utiliser et apprécier leurs produits ou leurs services, ce qui ne sera pas le cas dans bien des situations.
Certains acteurs vont tout simplement disparaître et être tués par les baby boomers.
Prenons un exemple : nous avons ouvert il y a quelque temps à Berlin une résidence hybride pour Seniors. Nous l’avons co-créé entièrement avec des Seniors en âge actuellement d’être intéressés par cette résidence, mais aussi avec des Boomers, plus jeunes qui pourraient, peut-être, y emménager dans les 10 à 15 prochaines années.
Heureusement que nous avons fait ce travail très minutieux avec ses deux générations.
Des différences très fortes existent et si on construit une résidence senior avec seulement la génération de Seniors d’aujourd’hui, c’est prendre le risque de boire le bouillon.
Ainsi, les Seniors les plus âgés, ceux qui emménagent à l’heure actuelle dans les résidences seniors, veulent une personne à l’accueil, pour, essentiellement, la convivialité, mais aussi la sécurité.
La plupart des résidences Seniors est basée sur ce principe.
Alors, nous avons passé beaucoup de temps avec les Boomers, qui seront en âge d’être intéressés par la résidence seniors dans 10 ans. Ces boomers nous disent qu’avoir une personne à l’accueil les priverait de liberté et les surveillerait trop.
“Et cela enfreint notre valeur de la Liberté”.
C’est ainsi que nous avons dans le cas précis de cette résidence, créé une deuxième entrée plus discrète pour les résidents qui le souhaitent.
C’est un exemple concret de différence dans les attentes et les envies entre ces deux générations et ces différences sont très nombreuses.
Les différences générationnelles sont nombreuses
Les différences ne concernent pas seulement les produits et les services, mais concernent également la commercialisation, la communication, l’écosystème, bref l’ensemble des éléments qui peuvent entrer dans un projet.
Dans le cadre de la vente par exemple, nous ne vendons pas la même manière, à un Senior qu’à à un Boomer. Les valeurs sont différentes, les façons de prendre une décision incluent des paramètres différents.
3 secrets pour réussir ce shift générationnel
Pour réussir ce virage générationnel, il y en quelque sorte, 3 secrets pour les acteurs de la Silver Eco.
- Intégrer l’importance des différences entre la génération des Boomers et celle des générations plus âgées,
- Bien différencier les effets d’âge et les effets de générations, mais aussi les achats de confort et les achats de nécessité,
- Mettre en place une stratégie “en douceur” pour garder ses clients les plus âgés, tout en attirant les plus jeunes générations et ce avant d’atteindre le point de rupture.
Parcourant rapidement les 3 secrets :
1/ Les différences entre les générations de Seniors sont très nombreuses et ne se limitent pas, comme c’est souvent le cas présenté, aux simples valeurs de générations.
Il existe aussi des différences en termes de stratégies de renseignement avant achat, de vision de la retraite, d’acceptation des aléas, de la prévention, etc.
Certains secteurs historiques de la Silver économie, comme ceux dans l’aménagement du domicile, des monte-escaliers ou les douches, s’aperçoivent que les Boomers utilisent des médium pour se renseigner différents de ceux des plus âgés.
Autrement dit, les supports de publicité utilisés ne fonctionnent plus aussi bien.
Prenons l’exemple des diagnostics d’habitat qui proposent aux personnes âgées, de faire venir à domicile, un ergothérapeute, pour analyser le logement et faire des recommandations pour garantir un meilleur maintien à domicile.
Autant les Seniors actuels indiquent vouloir se renseigner à la mairie ou auprès des caisses de retraite, autant les Boomers choisissent un tout autre chemin pour se renseigner.
Si les entreprises proposant ce type de diagnostic ne sont pas au bonne endroit, elles passeront à côté des Boomers.
2/ Bien différencier les effets d’âge et les effets de générations, mais aussi les achats de confort et les achats de nécessité
Certains nous expliquent que toutes les entreprises vont bénéficier de l’arrivée des Boomers. D’autres nous disent que les Boomers vont tuer toutes les entreprises de la SilverEco.
Ces deux visions extrêmes sont toutes les deux fausses.
Si l’on simplifie (même si c’est plus compliqué que cela), il faut différencier les facteurs d’âge des facteurs de génération.
Le facteur d’âge explique les changements au fur à mesure qu’une personne vieillit, dans ses comportements. Par exemple, une personne devient plus fragile et moins mobile et va rester davantage chez elle. Elle se mettra à réduire ses voyages tourismes, par exemple.
Ainsi le temps passé chez soi, augmente et pousse à la hausse certains types de consommation, comme la consommation électrique, les biens d’équipement, l’aménagement pour le confort et l’autonomie, etc.
A l’inverse, la consommation d’autres produits et services se réduit au fur et à mesure du vieillissement, comme tourisme ou encore le textile par exemple. En restant plus souvent chez soi, une personne a moins besoin de différents habits de sortie par exemple.
Les facteurs de génération rejoignent les valeurs des générations. Ces facteurs expliquent qu’une génération va sur-consommer certains produits et services. Par exemple, les baby boomers consomment beaucoup plus internet que les Seniors d’aujourd’hui.
Ainsi, il est facile de comprendre qu’une entreprise mal positionnée selon ses critères risque de sombrer.
3/ Mettre en place une stratégie “en douceur” pour garder ses clients les plus âgés, tout en attirant les plus jeunes générations et ce avant d’atteindre le point de rupture.
Plusieurs entreprises dans différents pays ont réalisé le shift générationnel trop rapidement et ont eu à subir la situation suivante :
Ils ont perdu leurs clients historiques et ne sont pas parvenus à attirer les clients plus jeunes.
Le shift générationnel, qui consiste à passer de la génération Senior à la génération des Boomers, prend du temps, car bien souvent, il faut adapter sa stratégie, sa communication, sa commercialisation et faire évoluer son image aux yeux des futurs clients.
Or, il y a un point de rupture au-delà, duquel il est très difficile d’opérer ce shift, car même si un énorme budget est utilisé pour mener cette opération, le temps de changement de l’image est incompressible.
C’est l’une des conclusions d’une étude que j’avais dirigée en 2008, pour un vépéciste Européen.
Il est temps de s’y intéresser
J’avais déjà écrit en 2008 une chronique sur le même thème parlant des mêmes arguments. 10 ans plus tard, le challenge est toujours le même et toujours aussi important.
Les Boomers vont chambouler la Silver économie et une part importante des acteurs existants aujourd’hui, auront disparu dans 5 à 10 ans.
> Si vous souhaitez échanger sur ce sujet, vous pouvez contacter Frédéric Serrière via la rubrique contact de ce site.