Pour la toute première fois, selon les données du recensement publiées dernièrement, le nombre de personnes âgées dépasse celui des enfants au Canada. Ce changement démographique présente, pour la durabilité du système de santé canadien, un défi unique qui aura des répercussions préoccupantes sur les dépenses publiques, le marché du travail, ainsi que le logement et l’infrastructure institutionnelle.
En 2016, les dépenses totales de santé au Canada étaient estimées à 228 G$, soit plus de 11 % du PIB. On évalue que ces dépenses grugeront de 44 à 55 % des recettes provinciales et territoriales à l’avenir. Ajoutées aux besoins non comblés actuellement dans le système de santé canadien, les pressions qui s’exercent pour fournir aux Canadiens les soins qu’ils veulent et auxquels ils s’attendent continueront de s’accroître.
« À l’heure où la population vieillissante de notre pays augmente rapidement, l’écart entre les budgets gouvernementaux et les besoins du Canada en matière de soins de santé continue de s’élargir », déclare Louis Thériault, vice-président, Stratégie industrielle et Politiques publiques au Conference Board du Canada. « Cela dit, la durabilité des soins de santé n’est pas qu’une question d’argent. La voie à suivre vers un système durable doit aussi comprendre des mesures de prévention des maladies, la promotion de la santé et du mieux-être, de même que la refonte des composantes du système de santé actuel. »
Fondée en 2011, l’Alliance canadienne pour des soins de santé durables (ACSSD) du Conference Board du Canada se penche sur certains des principaux défis auxquels fait face le système de santé canadien, notamment le vieillissement des aînés au Canada, les besoins de main-d’œuvre non comblés, le comportement sédentaire, la santé et le mieux-être en milieu de travail et le fonctionnement du système de santé, afin de produire des analyses qualitatives et quantitatives prospectives et de proposer des solutions qui contribueront à la durabilité du système de santé. Dans sa feuille de route intitulée A Road Map to Health System Sustainability (résumé en français sous le titre Feuille de route pour un système de santé durable), l’ACSSD fait la synthèse des principales conclusions tirées de son programme de recherche exhaustif et formule des recommandations pour un système de santé durable.
Dans sa série d’études sur l’avenir des soins aux aînés (Future Care for Canadian Seniors), l’ACSSD estime que 2,4 millions de Canadiens de 65 ans et plus auront besoin de soutien aux soins continus rémunérés et non rémunérés d’ici 2026. À l’horizon 2046, ce nombre atteindra près de 3,3 millions. Les dépenses consacrées aux soins continus des aînés devraient passer de 28,3 G$ en 2011 à 177,3 G$ d’ici 2046. Le vieillissement de la population au Canada n’aura pas que des répercussions sur les dépenses publiques et privées; il fera sentir son effet au-delà des soins cliniques. À mesure que de plus en plus de Canadiens prendront leur retraite, les pénuries de main-d’œuvre dans certains secteurs du système de santé s’aggraveront. Comme il faudra délaisser les soins actifs pour mettre l’accent sur les soins à domicile, les soins de santé communautaire et les soins de longue durée, des pressions se feront sentir aussi sur l’infrastructure institutionnelle existante et sur les personnes soignantes qui doivent réduire leurs heures de travail ou quitter la vie active.
Dans une étude sur le transport dans une société vieillissante (Managing Mobility: Transportation in an Aging Society), on arrive à la conclusion que le Canada n’est pas bien préparé pour assurer les déplacements d’une population vieillissante et que les aînés qui ne peuvent pas répondre à leurs besoins en matière de transport risquent de voir leur santé et leur qualité de vie se détériorer.
S’il est vrai qu’il arrive en tête des préoccupations, le vieillissement de la population ne constitue pas la seule menace à la durabilité du système de santé. L’augmentation des maladies chroniques au sein de la population canadienne fait ressortir la nécessité d’adopter des initiatives efficaces en matière de prévention des maladies et de promotion de la santé. L’ACSSD a constaté qu’en convainquant ne serait-ce que 10 % des Canadiens dont le niveau d’activité physique est insuffisant de bouger plus et de lutter contre leur sédentarité, on augmenterait le PIB de près de 1,6 G$ d’ici 2040 et on réduirait de 2,6 G$ au total les dépenses en santé liées à l’hypertension, au diabète, aux maladies du cœur et au cancer. Dans sa série Activons-nous! (Moving Ahead), l’ACSSD propose des interventions rentables, adaptables et durables pour favoriser un mode de vie sain et actif à la maison, au travail et dans les établissements d’enseignement.
Les investissements dans les initiatives de santé et de mieux-être au travail peuvent avoir une incidence qui ne se limite pas à la durabilité du système de santé. Les programmes de lutte contre le tabagisme, de santé mentale et de gestion de l’invalidité peuvent aussi profiter directement aux employeurs canadiens. Dans un rapport, l’ACSSD révélait qu’en 2010, le fardeau économique total du tabagisme pour les entreprises et la société s’élevait à 11,4 G$. La série d’études de l’ACSSD sur des cerveaux sains au travail (Healthy Brains at Work) a attiré l’attention sur les problèmes de santé mentale, dont les répercussions sur l’économie canadienne se chiffrent à environ 51 G$ par an en termes de perte de productivité, de soins de santé et de diminution de la qualité de vie.
Doter un système de santé des ressources adéquates pour offrir aux Canadiens les niveaux de service auxquels ils s’attendent (temps d’attente réduit, augmentation du nombre de Canadiens ayant accès à un fournisseur de soins primaires, hausse des services en santé mentale) nécessitera une certaine refonte. Le déséquilibre dans le système actuel entraîne des inefficacités, notamment des admissions et des soins dans les hôpitaux non pertinents, des erreurs médicales, des écarts dans la pratique et des déchets hospitaliers. Puisqu’on s’attend à ce que la demande de main-d’œuvre dans le secteur des soins continus dépasse la croissance générale de la population active, il faudra concevoir un système de santé efficace et durable, notamment trouver des façons d’optimiser les équipes multidisciplinaires de soins primaires, de repenser l’infrastructure institutionnelle actuelle et d’adopter des approches et des technologies innovantes.
Bien que la réforme de la santé et les efforts pour lutter contre les inefficacités dans le système de santé progressent, ces changements n’évoluent pas au même rythme que les pressions que fait peser la demande grandissante. La feuille de route de l’ACSSD fait ressortir à la fois les résultats de recherche réalisés au cours des cinq dernières années et les travaux qu’il reste encore à faire.
« À l’avenir, l’ACSSD jouera un rôle important en contribuant à favoriser les changements nécessaires pour accroître la durabilité de notre système de santé », ajoute M. Thériault.