La crise liée au Covid-19 a révélé que la société française et son système de santé n’étaient pas encore prêts à relever le défi du vieillissement de la population. En 2030, les plus de 65 ans représenteront plus de 20 % de la population française et seront plus nombreux que les moins de 20 ans. L’isolement des seniors, l’augmentation des reports et des renoncements aux soins, l’absence de politiques de prévention et la fracture grandissante entre les générations, le démontrent de façon criante. Cet allongement de l’espérance de vie ne se traduit pas forcément par une amélioration de la durée de vie en bonne santé, qui plafonne depuis 10 ans.
En publiant aujourd’hui le rapport Bien-vieillir : faire mûrir nos ambitions, l’Institut Montaigne souhaite provoquer une prise de conscience : il est urgent de valoriser l’important rôle social et économique des seniors et bâtir une société plus inclusive, où le bien-vieillir est un droit pour tous.
S’appuyant sur un benchmark approfondi des meilleures pratiques internationales et sur près de 80 auditions menées avec les acteurs clés du secteur, ce rapport fixe une feuille de route concrète pour une stratégie du bien-vieillir en France. Le rapport détaille cinq objectifs chiffrés ainsi que 12 propositions concrètes pour adapter notre modèle de soins, de prévention et de protection sociale, mais aussi d’usage des nouvelles technologies dans l’aide aux seniors.
L’Institut Montaigne fixe 5 objectifs ambitieux pour faire du bien-vieillir, un droit pour tous en France
- Valoriser la contribution des seniors à notre société et intégrer l’activité associative au taux d’activité : d’ici 2030 passer à 60 % le taux d’activité des 55-64 ans en France (57 % actuellement) et à 80 % en incluant les activités associatives.
- Mieux vivre chez soi et plus longtemps : réduire de moitié la durée des séjours hospitaliers des plus de 65 ans grâce à une prise en charge médicalisée à domicile et dans les EHPAD mais aussi au développement des médecines fonctionnelles.
- Vivre en meilleure santé : gagner un an d’espérance de vie en bonne santé à la naissance (en France, à 65 ans, l’espérance de vie sans incapacité n’est que de 11,2 ans pour les femmes et de 10,1 ans pour les hommes, contre 17 et 16 ans en Suède par exemple)
- Prévenir la perte d’autonomie : diviser par deux le nombre de résidents en EHPAD de moins de 75 ans (environ 5 % des résidents aujourd’hui) ; diviser par deux la perte d’autonomie liée à l’hospitalisation des plus de 70 ans (aujourd’hui, de 30 à 60 % pour les plus de 70 ans).
- Adapter l’ensemble de notre économie aux enjeux du vieillissement.
“En publiant ce rapport de l’Institut Montaigne, nous voulons interpeller nos dirigeants sur la nécessité d’agir pour donner une image positive du vieillissement. Ce phénomène est trop souvent présenté de façon sinistre ou comme un fardeau pour notre société. Pourtant, le développement de certaines fragilités chez les seniors n’est pas une fatalité ! Le bien-vieillir doit devenir une priorité pour les décideurs publics et irriguer l’ensemble des politiques liées au logement, au travail, à la santé et à la solidarité. Il faut pouvoir mieux vivre chez soi, plus longtemps, et avoir pour objectif de réduire de moitié la durée des séjours hospitaliers des plus de 65 ans” explique Bénédicte Garbil, co-présidente du groupe de travail à l’origine du rapport et directrice générale France d’Edwards Lifesciences.
“Alors que les seniors ont une contribution au tissu social très importante par leur rôle de consommateur, mais aussi d’aidant, d’élu ou de bénévole associatif, toutes les actions valorisant leur rôle dans notre société se sont trouvées mises entre parenthèses pendant la crise que nous traversons. Il faut prendre des mesures rapides sans qu’il soit besoin d’attendre le cadre législatif d’une loi grand âge et autonomie, pour mener une démarche ambitieuse d’inclusion et de prévention” précise Delphine Mallet, co-présidente du groupe de travail à l’origine du rapport et directrice de la Business Unit Silver économie et Santé du Groupe La Poste, Vice Présidente du Conseil National de la Silver économie.
Les personnes âgées apportent une contribution précieuse à notre société et sont des acteurs incontournables de la solidarité entre les générations
Les seniors apportent une contribution sociale et financière majeure à leurs descendants. Tout d’abord en ce qui concerne la garde d’enfants, les aînés constituent un mode de garde régulier ou occasionnel pour deux tiers des jeunes enfants. Ensuite, en matière de transferts intrafamiliaux : en 2018, sur les 20 milliards d’euros de transferts monétaires entre ménages en France, les ménages de 60 ans ou plus aidaient à hauteur de 3 milliards d’euros leurs descendants de 40 à 59 ans. Enfin, en matière de donations, 76 % des Français ayant transmis leur patrimoine sous forme de donations sont des personnes de plus de 65 ans.
Les seniors constituent les forces vives de la vie publique. Près de 63 % des maires et 40 % des conseillers départementaux ont plus de 60 ans. Par ailleurs, les seniors sont très engagés dans la vie associative. Ils constituent un vivier immense pour les associations, puisque 63 % des présidents d’associations ont plus de 56 ans et que 50 % des responsables associatifs sont des retraités.
Les seniors apportent aussi une contribution importante au dynamisme économique de la France. Cela passe d’abord par la consommation : les plus de 50 ans représentaient ainsi en 2015 environ 52 % des dépenses de consommation en France. Cela se traduit ensuite par l’opportunité que constitue le vieillissement de la population pour la croissance française. D’une part, promouvoir la santé des personnes âgées est un enjeu économique puisque selon les économistes, l’amélioration de l’espérance de vie sans incapacité augmenterait le potentiel de croissance à long terme d’un pays. D’autre part, le développement d’entreprises autour de la Silver économie donnera un avantage comparatif notable à la France.
La crise du Covid-19 a révélé le besoin d’adaptation de notre société au vieillissement
Le virus du Covid-19 est non seulement beaucoup plus dangereux pour les personnes âgées mais la crise a également eu des conséquences indirectes sur la santé des seniors avec le report voire le renoncement à leurs soins. Selon l’Assurance maladie, lors des trois premières semaines du confinement de mars 2020, une baisse d’activité de 40 % a été observée chez les médecins généralistes et de 50 % chez les médecins spécialistes.
Aux conséquences sanitaires de la crise s’ajoutent d’importantes conséquences sociales pour les seniors, qui se retrouvent de plus en plus isolés. Ainsi, selon une enquête menée en 2020 par les Petits frères des pauvres, 720 000 seniors n’ont eu aucun contact avec leur famille pendant le confinement ; 13 % ont ressenti de la solitude de façon régulière ; 15 % des plus de 60 ans ne seraient pas sortis pendant le premier confinement. Cet isolement se situe géographiquement dans les métropoles, en particulier dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville où la solitude des aînés est de 5 points plus élevés que dans les autres territoires, mais aussi dans les zones rurales peu denses.
Il faut adapter notre système de soins aux besoins des seniors. En effet, alors qu’en France près de 70 % des plus de 85 ans souffrent d’une maladie chronique, notre système de santé doit passer d’une logique de prise en charge curative et hospitalo-centrée, fondée sur les établissements d’accueil de personnes âgées, à une approche multidimensionnelle reposant sur la prévention et le soutien dans de bonnes conditions à domicile.
Le numérique apparaît comme un outil incontournable de lien entre les générations mais aussi d’amélioration de l’accès aux soins. Contrairement aux préjugés largement répandus, les outils numériques jouent un rôle prépondérant et croissant dans la vie des seniors : les trois quarts d’entre eux utilisent internet quotidiennement. En matière de lutte contre l’isolement comme d’accès aux soins ou aux services du quotidien, les outils numériques constituent une solution à part entière – sous réserve que leur usage soit facilité pour les populations les plus âgées, et que celles-ci soient réellement accompagnées et formées. Par exemple, les Pays-Bas ont développé plusieurs innovations technologiques pour accompagner le vieillissement comme le déploiement de matériel électroménager intelligent ou encore le recours à des tablettes numériques pour réduire l’isolement des personnes âgées. Par ailleurs, le déploiement de la télémédecine se doit d’être encouragé afin d’assurer un suivi médical ou de renforcer les actes à visée préventive ou post-thérapeutique.
Les 12 propositions de l’Institut Montaigne pour une stratégie ambitieuse du bien-vieillir à l’horizon 2030
Axe 1. Valoriser la contribution des seniors à notre société
Proposition 1. Faire de la formation tout au long de la vie une réalité pour les seniors. Nous proposons que le compte personnel de formation soit utilisé pour en faire un véritable outil de préparation de la retraite ainsi qu’un moyen de se former en tant qu’aidant familial.
Proposition 2. Être à la hauteur des aidants en doublant le « droit au répit ». Actuellement cette aide demeure limitée à 500 euros annuels par personne dépendante, bien en-deçà d’un répit tangible.
Proposition 3. Supprimer les barrières d’âge dans la transition entre la vie active et la retraite. Une évolution du système des retraites doit permettre de faciliter le recours au cumul emploi-retraite, en simplifiant le dispositif et en valorisant les personnes souhaitant continuer de travailler.
Proposition 4. Reconnaître l’utilité sociale et valoriser l’engagement des seniors dans le monde associatif. Cette valorisation pourrait s’inscrire dans le cadre d’un pacte civique pour les seniors, qui constituerait le pendant du dispositif de service civique pour les jeunes.
Axe 2. Vivre mieux chez soi et plus longtemps
Proposition 5. Désigner une communauté de référents « nouvelle vie » au sein de chaque service public dans les territoires. Ces référents seraient formés aux questions administratives, financières et individuelles liées au passage à la retraite, à la prévention de la perte d’autonomie, à l’adaptation du logement, etc.
Proposition 6. Généraliser le « diagnostic logement autonomie » en offrant un dispositif de guichet unique d’aide à l’adaptation du logement. Ce guichet, déployé par les maisons France Service, serait constitué pour favoriser la lisibilité du dispositif et permettre aux personnes concernées ou à leurs aidants de s’orienter plus facilement dans les différentes offres.
Proposition 7. Transformer la ville au service de nos aînés. Au-delà du domicile, c’est l’ensemble de la politique de la ville qui doit s’adapter au vieillissement démographique (aménagements urbains, toilettes, transports, signalétiques). Nous proposons ainsi de labelliser juridiquement le réseau francophone « Réseau des villes amies des aînés ».
Axe 3. Vivre en meilleur santé et prévenir la perte d’autonomie
Proposition 8. Instaurer une règle d’or attribuant 1 euro de dépenses en faveur de la prévention de la perte d’autonomie pour 10 euros de dépenses curatives et inciter les professionnels de santé à la prévention
Proposition 9. Dépister et prévenir les fragilités liées à l’état santé : créer une visite de prévention dédiée au bien-vieillir à intervalle régulier ; proposer un parcours de prévention spécifique pour les nouveaux retraités les plus modestes ; inciter financièrement à la prévention les professionnels conventionnés ; encourager le développement de projets innovants en matière de dépistage précoce et de prévention de la perte d’autonomie.
Proposition 10. Former et accompagner les professionnels médicaux et paramédicaux, les professionnels du domicile et les aidants au dépistage de l’existence de fragilités.
Axe 4. Adapter notre économie pour mieux répondre aux enjeux du vieillissement
Proposition 11. Soutenir la Silver économie en investissant dans les innovations et la R&D pour le bien-vieillir.
Proposition 12. S’appuyer sur des outils digitaux performants pour améliorer le recueil de données de santé dans le champ du vieillissement et personnaliser les parcours de soins.