Une formule simple et efficace pour aider des personnes âgées à mieux vivre chez elle grâce à un voisinage bienveillant. La population du quartier de Molenbeek, quartier populaire proche du centre de Bruxelles (Belgique), est constituée pour 60% de personnes immigrées, notamment des familles marocaines et turques, et pour 25% de personnes âgées belges, résidants « historiques » du quartier.
L’ASBL (Association Sans But Lucratif) Dar Al Amal, qui signifie « Maison de l’espoir », y développe depuis 35 ans des activités d’accueil et d’accompagnement en faveur de l’émancipation et de l’intégration des femmes immigrées du quartier. Certaines de ses activités sont ouvertes à tous les habitants du quartier. Consciente du risque d’isolement que courre la population âgée du quartier, L’ASBL a rapidement saisi l’occasion de tisser des liens de manière encadrée et de stimuler l’entraide entre les familles étrangères et les personnes âgées originaires du quartier. L’objectif principal de ce mixage restait en pleine cohérence avec l’objectif initial de l’association : valoriser l’image des familles étrangère vis-à-vis des habitants du quartier, et notamment lutter contre les préjugés et le racisme.
Le travail parmi les femmes a semblé être, pour l’association, le meilleur angle d’attaque d’un projet de cohabitation intégrée entre immigrés et personnes âgées :
Les personnes âgées : assurer un réseau de voisinage
Elles avaient perdu beaucoup de leurs repères dans un quartier désormais typé et coloré, bien différent de ce qu’elles avaient connu dans leur jeunesse.
Les femmes migrantes au foyer, entre déracinement et solitude
Pour des raisons différentes des personnes âgées, elles peinaient à s’intégrer dans un pays et une culture qui leur restaient étrangers. Ajoutons à cela l’hypothèse d’un certain vide affectif chez les premières générations d’immigrés, bien naturel chez des personnes ayant laissé leur famille au pays et désormais coupés géographiquement de leur ascendance.
Une image positive de l’âge dans la culture méditerranéenne
Les personnes âgées ne sont pas considérées comme marginales pour la culture méditerranéenne. Bien au contraire, elles sont respectées pour leur âge et appréciées pour leurs expériences.
Une approche pragmatique
Partant de ces constats et de la certitude qu’un résultat doublement positif pouvait émaner du rapprochement de ces deux populations éprouvant des difficultés communes, Dar Al Amal a lancé, dès 1980, le projet « d’habitat encadré ». Fruit d’une longue réflexion et de solides convictions, cette initiative n’en a pas moins été menée avec pragmatisme. Une fois lancée sur ses rails, nantie d’objectifs clairs, l’expérience a été conduite depuis près de vingt ans avec la souplesse nécessaire pour l’adapter aux individus concernés.
Il s’agit de transformer deux maisons de ville en tandem intergénérationnels et interculturels. L’association, propriétaire, les a aménagé de la façon suivante :
– Au rez-de-chaussée, un appartement pour une personne âgée. Il comporte une pièce à vivre qui dispose d’une grande fenêtre donnant sur la rue. Cet appartement n’a fait l’objet d’aucune adaptation particulière. Il était et est resté semblable aux autres logements du quartier, et ne s’en différencie pas extérieurement. A ce titre, il ressemble à ce que les personnes âgées aient pu connaître tout au long de leur vie.
– Aux étages le logement pour la famille immigrée. Là encore il s’agit d’un logement tout à fait classique, mais bien entendu plus vaste que le logement du rez-de-chaussée. Les familles comportent des enfants, trois au maximum compte tenu de la taille du logement.
Financièrement, il s’agit d’une opération autonome. Le projet a été depuis son origine entièrement porté par l’ASBL Dar’Al Amal, tant en moyens humains que financiers. Il ne reçoit pas de subventions spécifiques. L’association a acheté l’une des deux maisons, l’autre lui a été donnée par un mécène. La première maison a été ouverte fin 1980, la deuxième dans les années 1990. Dans les deux cas, les maisons sont anciennes et rénovées pour l’occasion.
Une veille de voisinage
La famille qui accepte cette formule est tenue à assurer une surveillance passive de la personne âgée. Trois éléments concourent à ce voisinage bienveillant.
– Un système interphone alarme reliant la personne âgée et ses voisins constitue un lien symboliquement fort.
– La famille se charge de l’entretien des parties communes
– Un suivi de la cohabitation par l’association
Les personnes âgées qui adoptent cette formule gardent leur indépendance : elles organisent leur ménage et font appel à des services d’aide à domicile si nécessaire. C’est l’ASBL qui joue le rôle de coordinateur-conseil auprès d’elles. Les familles vivent également en totale indépendance ; elles ne sont liées à leur voisine du dessous que par l’obligation de surveillance passive citée ci-dessus, qui reste légère car assortie d’aucune astreinte.
Bien entendu, aucun échange financier n’existe entre les personnes âgées et les familles. L’aide apportée par l’une à l’autre ne se conçoit que dans un cadre d’échanges de services entre voisins. Cependant, les loyers proposés aux locataires sont attractifs car très modérés, ce qui confère une dimension sociale à l’expérience, et à cette formule de logement une grande attractivité pour les locataires.
Une action réussie…
Avec 20 ans de recul, le bilan est largement positif. Cette réalisation fonctionne si bien que la liste d’attente des personnes âgées comme des familles est très longue. A la dénomination d’habitat encadré, certains ont voulu substituer le terme d’« habitat kangourou », qui reflète mieux le sentiment de sécurité procuré à la personne âgée par son lieu d’habitation, « poche » protégée par la présence rassurante de la famille. Observons toutefois qu’il ne s’agit pas d’infantiliser les personnes âgées et que la relation recherchée est celle du lien et de l’entraide entre voisins, pas d’une relation de subordination.
Les personnes âgées se sentent en sécurité et apprécient leurs voisins qui leur assurent affection. Les familles peuvent s’appuyer sur les personnes âgées pour recréer pour leurs enfants une relation de grand-parentalité qui favorise leur évolution.
… malgré l’absence de services ou d’adaptations spécifiques
Considéré sous l’angle gérontologique, l’expérience parait pourtant souffrir de nombreuses insuffisances : pas de services spécifiques apportés à la personne âgée et pas d’adaptation spécifique du bâti. Et pourtant l’objectif essentiel, aider les personnes âgées à bien vieillir, est atteint. C’est un enseignement fort : le lien symbolique peut suffire à établir la sécurité affective et le lien humain n’a pas besoin, pour être stimulé, d’un dispositif lourd.
Les clés du succès ?
Il importe toutefois de bien replacer l’expérience dans son contexte. Les personnes âgées accueillies ont toujours été, au moment de leur entrée dans l’appartement, relativement autonomes. L’ASBL s’est ainsi fondée sur sa connaissance de chacune des personnes : toutes devaient en effet avoir déjà participé à des activités du foyer, au cours desquelles elles avaient pu être « évaluées » par les responsables de l’association.
L’intergénérationnel est considéré par l’ASBL comme un outil pour favoriser l’intégration plutôt que comme une fin en soi. Pour mener à bien le projet, l’ASBL a du acquérir une compétence et une sensibilité particulières aux personnes âgées.
Et demain ? Et ailleurs ?
Bien entendu, la taille modeste de l’expérience (seulement quatre logements) oblige à relativiser ses résultats. A l’origine, Dar’Al Amal a souhaité faire connaître son projet-pilote et espérait voir naître d’autres initiatives analogues. Pourtant, plus de 20 ans après la première maison, cet essaimage n’a pas eu lieu.
Le fait d’avoir monté ce projet de manière isolée, sans s’appuyer sur des partenaires institutionnels, a peut-être empêché cet élargissement. Aucun acteur majeur ne s’est réellement saisi de l’idée avec la volonté de la développer à plus grande échelle. Et sans l’appui de la collectivité, l’équation économique était difficile à reproduire car elle nécessitait l’intervention d’un mécène.
La représentation traditionnelle de la personne âgée s’estompe peu à peu dans l’esprit des populations d’origine immigrée pour laisser place à une vision plus « occidentale ». Faut-il donc s’interroger sur la pérennité du concept ? Cette question se pose d’autant plus que les nouvelles générations issues de l’immigration, étant nées sur place, disposent le plus souvent de leurs parents ou grands-parents à proximité, contrairement à leurs aînés de 1ère génération qui avaient quitté leurs familles. Il conviendrait également de comprendre dans quelle mesure cette expérience s’appuie sur une certaine tradition locale de l’habitat. Nous pensons par exemple au mode d’habitat, la petite maison de ville à un ou deux appartements, très répandue dans cette région de Belgique mais moins courante en France (sauf dans le Nord). Néanmoins, de nombreux ingrédients de l’expérience semblent reproductibles, à commencer par ce qui fait l’essence même du projet :
– Co-valoriser des individus différents en les aidant à nouer du lien entre eux et à se rendre utile les uns aux autres ;
– Favoriser le bien-être et le bien vieillir en replaçant les gens dans un contexte sécurisant.
Cette expérience pourrait ainsi en faire naître d’autres, notamment au sein de certains quartiers populaires français qui ont connu la même évolution que celle du quartier de Molenbeek.
Foyer Dar’Al Amal
51, rue de Ribaucourt – 1080 Molenbeek-Saint-Jean, Bruxelles
Contact : Loredana Marchi 00 32 2 411 74 95
Email : loredana.marchi@foyer.be
Source : Accordages.com
8 rue du Fg Poissonnière F-75010 Paris