La population vieillit et le marketing apprend à s’adapter à la cible des senior
L’actualité estivale a été marquée par une dramatique augmentation des décès de personnes âgées due à une canicule exceptionnelle. Sans parler des considérations humaines, sociologiques et politiques que peut susciter cette situation, ces faits ont mis l’accent sur un phénomène de société : le vieillissement de la population.
Notre société vieillit pour plusieurs raisons démographiques : le pic de naissances des baby-boomers (nés après la Seconde guerre mondiale) a fortement modifié la pyramide des âges. Après le baby-boom, on parle de papy-boom, car la natalité a baissé depuis et l’espérance de vie progresse régulièrement de trois mois chaque année.
Comme le montre l’étude de l’OCDE « Aging population », c’est un phénomène à l’échelle mondiale, qui dépasse les frontières des pays développés et va être un des plus grands changements démographiques connus de l’humanité.
En Europe, les plus de 55 ans représentent déjà entre 12 et 20 % de la population des pays. C’est le segment de consommateurs qui va connaître la plus forte croissance sur les quinze prochaines années : + 60 %, alors que la population des moins de 50 ans va être stable.
Une question de démographie et de revenus…
Enfin, jamais dans notre histoire les seniors n’auront été aussi aisés : ils affichent déjà 75 % des revenus nets et possèdent 80 % des avoirs financiers. Uniquement en France, leur revenu annuel disponible s’élève à 150 milliards d’euros. Ils participent actuellement à plus de 40 % de n’importe quel marché. Avec l’arrivée des baby-boomers, les seniors deviennent une cible incontournable. Au-delà des revenus, c’est la structure des dépenses qui va évoluer. En France, la répartition moyenne annuelle de celles-ci (en euros) pour les 60-70 ans est la suivante : impôts 4 200, logement 6 980, restaurant 540, voyage 690, hygiène 1 750, alimentation 1 750, habillement 2 700, autres 3 730
Vers un ciblage publicitaire de plus en plus fin
Alors que l’on prédit la fin du mass marketing et le développement du one to one, les segmentations traditionnelles basées sur des critères sociodémographiques n’ont pas dit leur dernier mot et offrent des approches renouvelées. Il en est ainsi des cibles des enfants, des adolescents, des adultes et enfin des seniors. Cette dernière cible revêt un intérêt stratégique de plus en plus important pour les responsables de marques et les publicitaires. La cible publicitaire des « ménagères 25-50 », qui a sévi au cours des trente dernières années est en train de céder du terrain au profit de cibles plus spécifiques touchées par des médias également spécifiques. La structuration de l’audience des médias de masse conduit à une qualification permettant un ciblage. Par exemple, les téléspectateurs de France Télévisions sont en moyenne plus âgés que ceux de M6.
Au-delà des aspects du médiaplanning, c’est le contenu de la communication et les types de produits/services destinés aux seniors qui constituent le véritable enjeu stratégique pour les marques. Les études sur les seniors se développent et la réflexion qui leur est destinée est menée par des experts tel Frédéric Serrière, conseil en marketing (SeniorsStrategic et sites internet professionnels francophone et anglophone d’information : marchedesseniors.com et globalagingtimes.com), auprès duquel nous avons puisé nos informations.
Une cible hétérogène avec des attentes différentes
Selon Frédéric Serrière, l’étude montre que les plus de 55 ans ne se sentent pas concernés par la publicité actuelle (86 % d’entre eux pensent qu’elle ne s’intéresse pas à eux). Ils ajoutent que la majorité des produits et des services ne leur sont pas destinés. Comme le dit John Straiton dans son livre « A market of millions of dollars », « nous les seniors, nous sommes aussi différents des générations du marketing et de la publicité d’aujourd’hui que les Tibétains sont différents des générations de travailleurs canadiens ».
L’autre difficulté vient de la grande hétérogénéité des seniors, avec des différences importantes en termes de comportement, de santé, de statut, etc. Il est ainsi toujours hasardeux de décrire les besoins et les attentes des seniors sans commettre l’erreur de généraliser. Ainsi, des sociétés comme Yankelovich Partners aux Etats-Unis ont développé de nombreux travaux permettant de mieux comprendre les comportements d’achat en fonction des générations. Les valeurs liberté, nostalgie, satisfaction immédiate, hédonisme sont souvent attribuées aux baby-boomers et les valeurs devoir, rationalité, utilitarisme décrivent généralement les générations plus âgées.
D’autres études telles que celle menée par SeniorStrategic sur les « ProfilsValeurs » permettent de mieux comprendre les attentes des seniors en termes de consommation. La segmentation « ProfilsValeurs » dépasse les critères d’âge en s’intéressant aux valeurs. Ainsi l’étude identifie-t-elle huit profils types de seniors : Actifs, Originaux, Leaders, Sociables, Rigoureux, Réfléchis, Enthousiastes, Inquiets.
De nombreuses tendances émergentes
Les tendances émergentes sur le marché des seniors sont très nombreuses. Citons-en deux, qui concernent les secteurs de l’alimentation et de la beauté. Elles sont basées sur l’acceptation ou le refus de son propre vieillissement. D’un côté, les personnes qui refusent de vieillir poussent les industries à développer des produits « anti-aging » tels que compléments alimentaires, chirurgie esthétique ou produits de beauté. Cette tendance progresse régulièrement, mais semble ne concerner qu’entre 10 et 20 % des seniors selon les pays.
A l’opposé, une tendance de fond pourrait être résumée par la demande « Aidez-moi à bien vieillir avec des produits pour maintenir ma santé ». Cette tendance est perceptible chez les plus de 60 ans,
mais aussi chez les baby-boomers, qui demandent de plus en plus des produits de qualité, sains et développés de manière éthique. Cette attente est appelée à s’amplifier avec le lancement de politiques de santé publique à destination des seniors dans différents pays industrialisés.
La demande de sécurité est un autre exemple des tendances qui progressent. D’après plusieurs études et notamment celle menée par l’Université de Palo Alto (Californie), la peur augmente avec l’âge : la peur de la solitude, des incidents de santé, de la dépendance, etc. Ce sentiment d’insécurité explique le développement de certains produits et services : assurances dépendance, lotissements surveillés et réservés aux seniors, télé-assistance, etc.
Une adaptation de la stratégie au cas par cas
Les stratégies pour « vendre aux seniors » ou prendre en compte leurs attentes et besoins sont nombreuses. Cependant, il n’existe pas de recette miracle et il est important de définir une vision globale du marché selon la cible visée, le produit et le lieu de distribution.
Certaines entreprises ont choisi une stratégie « générationnelle », c’est-à-dire s’adressant à une seule génération . C’est le cas de la Banque des seniors du groupe Banques Populaires. Cette stratégie consiste à développer des produits et des services spécifiques pour les seniors, avec une communication adaptée à cette cible.
D’autres marques telles que Libra de Tena, choisissent une stratégie « intergénérationnelle », c’est-à-dire s’adressant à plusieurs générations :
les protections d’incontinence font partie des produits utilisés en très grande majorité par les personnes âgées, mais dans certains cas leur utilisation s’étend à des personnes plus jeunes, d’où une représentation de publics de tous âges.
« Au-delà de la stratégie, il est important d’avoir une vision globale, depuis la conception du produit jusqu’à la communication, en passant par la commercialisation », explique Martin Gough, responsable de l’agence de marketing américaine Mature Research. « Le nombre de publicités à destination des seniors augmente régulièrement. Cependant, beaucoup d’entreprises n’adaptent pas pour autant leurs produits. »
Adapter les produits et les services
Même si l’espérance de vie a progressé, les effets du vieillissement sont présents. Même si une majorité de baby-boomers refusent les produits conçus exclusivement pour les seniors, ils veulent des produits faciles d’utilisation dont le fonctionnement respecte leur « logique ». Ils apprécient également des innovations qui pourraient pallier les effets du vieillissement. C’est toute la nuance. Les baby-boomers ne veulent pas être traités comme des « vieux », mais demandent cependant que leurs besoins soient comblés. « Je ne pense pas que les appareils doivent être conçus exclusivement pour les seniors », explique James Pirkl, responsable de Transgenerational Design, mais au contraire, comme tous les produits, être conçus pour l’ensemble des générations.
Adapter la communication
Le sujet de la communication auprès des seniors fait couler beaucoup d’encre. Faut-il cibler directement les seniors ou utiliser une approche transgénérationnelle ? Existe-t-il des risques de vieillir une marque en communiquant dans les médias spécialisés seniors comme Pleine Vie ou Télé Melody ?
Les seniors aiment qu’on s’adresse directement à eux, mais pas n’importe comment. Comme pour les autres générations, des règles sont à respecter : éviter les stéréotypes, prendre en compte le fait que les seniors pensent avoir entre 10 et 15 ans de moins, être prudent avec le terme « senior », donner beaucoup d’informations logiques, respecter les effets du vieillissement et les modes d’apprentissage des générations. Adapter la distribution.
La distribution va aussi devoir s’adapter. L’étude « Les tendances seniors – commerces » montre que les seniors préfèrent les magasins de taille moyenne aux grands hypermarchés, mieux aménagés, avec un nombre plus limité de références. Certains distributeurs tels que Monoprix et Wall Mart ont commencé à étudier sérieusement ce marché.
La complexité du marché présente une difficulté pour le personnel au contact de la clientèle senior. Les solutions pour mieux servir la clientèle senior existent et sont déjà employées par plusieurs entreprises. La première consiste à former le personnel existant au contact de la clientèle senior, la seconde consiste à employer des salariés seniors (50-60 ans). Embaucher des salariés seniors, c’est ce que font la chaîne anglaise de bricolage B&Q ou encore le distributeur américain Wall Mart. B&Q explique que les salariés seniors présentent des avantages pour l’entreprise : faible absentéisme, caractère plus réfléchi débouchant sur une meilleure qualité, plus grande expérience, etc.
Le marché des seniors est une opportunité unique de croissance pour de nombreux secteurs. Les entreprises qui savent s’adapter, tout en conservant des clients plus jeunes, ont de nombreux atouts pour réussir. Le discours sur l’allongement de l’espérance de vie ne doit pas faire oublier que les seniors et les baby-boomers ont des attentes et des besoins spécifiques en raison des effets du vieillissement, de leur « stade de vie » et de leurs activités propres
Pierre Ferrer (UDA)