En 2025, les populations de nombreux pays d’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique compteront parmi les plus âgées au monde, ce qui pourrait mettre en péril la réussite économique récente de la région si des réformes satisfaisantes des régimes de retraite et de santé ne sont pas conduites et si des mesures ne sont pas mises en place pour favoriser la hausse de la productivité.
Partout dans le monde, de graves menaces économiques pèsent sur les sociétés vieillissantes. Néanmoins, selon un nouveau rapport de la Banque mondiale, la région de l’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique qui, de la Russie à l’Albanie, regroupe 27 pays, est la seule qui soit confrontée au problème cumulé d’un vieillissement rapide, d’une relative pauvreté et d’une transition incomplète à une économie de marché bien développée. Comme l’indique le rapport, intitulé From Red to Gray: The “Third Transition” of Aging Populations in Eastern Europe and the Former Soviet Union, ce problème est d’autant plus grave pour ces pays qu’il leur faut simultanément accélérer leur transition économique et engager d’urgence des réformes de plus long terme pour parer aux conséquences démographiques.
« Les pays plus riches et plus développés comme la France, l’Italie et le Japon, sont bien plus en mesure de relever le défi du vieillissement que les pays vieillissants de l’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique », explique Arup Banerji, Chef du département Économie du développement humain de la Banque mondiale et co-auteur du rapport. « Aucun pays vieillissant au monde n’est aussi pauvre que la Géorgie. Avec un revenu national brut par habitant à peine supérieur à 1000 dollars, elle va perdre près d’un cinquième de sa population au cours des vingt prochaines années. Qui plus est, le développement institutionnel piétine dans de nombreux pays, même ceux qui ont adhéré à l’Union européenne. C’est l’interaction de ces trois transitions – démographique, économique et politique – qui fait de la région et des défis auxquels elle est confrontée un cas hors du commun ».
La région devrait voir sa population totale diminuer de près de 24 millions de personnes au cours des deux prochaines décennies. La Russie à elle seule devrait perdre 17 millions d’habitants. Ces populations moins nombreuses seront aussi nettement plus âgées. En 2025, entre un cinquième et un quart des habitants de neuf pays d’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique (de l’Azerbaïdjan à la République slovaque) seront âgés de plus de 65 ans. Ce sera alors le cas de plus d’un Bulgare sur cinq. En Slovénie, l’âge moyen sera de 47 ans – l’un des plus élevés au monde.
Les principaux enjeux viennent de ce que les populations vieillissantes risquent d’exercer des pressions nouvelles – et éventuellement ruineuses – sur les dépenses publiques, en termes de retraites et de soins de longue durée pour les personnes âgées notamment. Les craintes sont d’autant plus vives que dans de nombreux pays anciennement communistes, le financement de ces régimes est déjà insuffisant.
« La mise en œuvre de politiques avisées peut modérer l’impact du vieillissement sur les dépenses. Une hausse des dépenses publiques est certes inévitable, mais il est possible d’amortir le choc. Pour cela, les pays de la région doivent adopter des politiques visant à assurer la viabilité financière des régimes de retraite malgré l’augmentation du nombre de retraités, et prendre des mesures anticipatives pour le financement des soins de santé à long terme », observe Mukesh Chawla, économiste principal à la Banque mondiale et co-auteur du rapport.
La poussée des dépenses de retraite va inévitablement s’accentuer avec le vieillissement des populations, mais le rapport constate que dans tous les pays où des projections détaillées ont été établies, des réformes suffiraient en grande part à y parer. La meilleure méthode consisterait à relever l’âge de la retraite, généralement très bas dans la région, mais la modification des formules de calcul des taux de prestation permettrait aussi de réaliser des économies. Le dosage des réformes nécessaires variera selon les pays, depuis la Lituanie et la République slovaque, qui devront combiner ces deux mesures, jusqu’à l’Albanie, la Roumanie, la Serbie et la Turquie, qui devront donner priorité à la réforme de l’âge des retraites.
L’explosion des dépenses liées aux soins de santé à long terme suscite de vives inquiétudes ; en effet, le nombre de personnes âgées dépendantes augmente, et le placement en institution constitue une solution coûteuse et souvent inefficace. Il est indispensable d’établir des services de soins substantiellement moins onéreux que les services hospitaliers. Pour cela, il convient d’accréditer et de soutenir les prestataires de soins informels. Des prestations en espèces et en services pourraient être intégrées à la prise en charge des personnes âgées de manière à maintenir une offre suffisante de prestataires. Les pays de la région ont toutefois été lents à prendre la mesure du problème et à entamer la mise en place des mesures et des institutions nécessaires pour atténuer le choc potentiel des dépenses.
Il est généralement admis que l’évolution démographique actuelle de la région mettra un terme à sa croissance économique. Avec le vieillissement démographique, la population active va s’amenuiser, et les personnes âgées épargneront moins, ces deux phénomènes se traduisant par une baisse de la main d’œuvre et du capital nécessaires aux pays de la région pour maintenir un rythme dynamique de croissance.
« Le rapport fait valoir qu’il est possible de prévenir un ralentissement de la croissance », déclare Gordon Betcherman, économiste principal à la Banque mondiale et co-auteur du rapport. « Des mesures visant à rehausser la productivité compenseraient nettement les pertes dérivant du rétrécissement de la population active. Les pays vieillissants peuvent aussi doper leur production en augmentant le taux d’activité ; ils doivent pour cela relever l’âge de la retraite et encourager la flexibilité de l’emploi. Par ailleurs, si les conditions politiques le permettent, la migration interrégionale permettra d’atténuer les pénuries de main d’œuvre. »
Selon la Banque mondiale, une productivité soutenue sera absolument indispensable pour que les pays de l’Europe de l’Est et de l’ex-Union soviétique puissent maintenir une croissance dynamique et se rapprocher de l’Union européenne en termes de revenus et de niveau de vie. Il devront pour cela procéder à des réformes afin de diversifier les marchés financiers, ce qui augmentera l’épargne et l’investissement, et d’assouplir les marchés du travail. Enfin, il leur faut améliorer l’éducation et mettre en place des systèmes d’apprentissage tout au long de la vie et d’innovation pour tirer le meilleur parti de leurs ressources humaines en diminution.